Il a côtoyé toutes les têtes de gondoles francophones de l’écologie des vingt dernières années et plus encore. Nicolas Hulot est un ami, Yann Artus-Bertrand un confrère, René Dumont un maître à penser. A 82 ans, Roland Albignac ne cesse de se battre pour sa planète, lui, l’enfant du monde né à Alger en 1940. Son dernier livre, « La Terre est nous : regards et perspectives d’un écologue » est un coup de gueule contre l’immobilisme politique et l’hypocrisie des dirigeants du monde quand il s’agit de lutter contre le réchauffement climatique.
De Cousteau à Bolsonaro
S’il suit d’un œil les discours de la COP27, Roland Albignac n’y croit plus depuis 1992, date de la première conférence mondiale à Rio de Janeiro. A l’époque même le Commandant Cousteau ressort plein d’espoir après deux semaines de débats à propos d’une politique verte et durable. Depuis, les discours sont restés les mêmes et la situation s’est aggravée.
Quand en 2019, le candidat d’extrême-droite Jair Bolsonaro est élu président du Brésil et que sa politique environnementale désastreuse est mise en avant, Roland Albignac prend sa plume, replonge dans son passé et dresse une autre vision : « bien sûr que Bolsonaro n’aide pas mais ce sont les pays occidentaux qui depuis les années 70 et le plan de Transamazonienne, financée par la Banque mondiale et des pays Européens en partie, participent à la destruction de milieux naturels. »
Le développement destructeur au temps des colonies
Ces ravages au nom du développement, Roland Albignac a vécu ça de près : « mon père était un tropicaliste, conseiller en agriculture pour l’État Français au sein de ses colonies. J’ai voyagé en Guinée, puis au Maroc mais j’ai surtout vu comment à Madagascar, l’État français a détruit des forêts entières pour y créer une agriculture intensive. À l’époque personne n’en avait rien à faire il fallait développer ! ». Un constat qui aujourd’hui, consciemment ou non, ne l’a pas rendu « écologiste, au sens politique du terme. Il faut un énorme changement sans faire n’importe quoi. »
Directeur du laboratoire de l’écologie animale à Besançon
Diplômé de l’École Nationale Supérieure d’Horticulture de Versailles, il intègre l’institut de recherche pour le développement (IRD, ex-ORSTOM) et devient directeur de parc botanique et zoologique à Madagascar à 24 ans où il écrit une première thèse sur les carnivores et lémuriens de l’Ile. Vingt années s’écoulent et Roland Albignac découvre ensuite Besançon en 1981 où il dirige le laboratoire de l’écologie animale, gérant notamment la station de Bonnevaux.
La conférence de 1992, un déclic
Six ans plus tard, après avoir tenté de devenir directeur des parcs zoologiques à Paris, il intègre l’UNESCO et retrouve Madagascar. « J’ai participé à l’élaboration de réserves de biosphère sur le territoire. Ce projet d’écodéveloppement était présenté au sommet de la Planète Terre à Rio de Janeiro, en 1992. Toutes les COPs que l’on connaît sont nées de ce sommet, même s’il y avait eu Stockholm en 1972. Déjà à l’époque les lobbys forestiers et agricoles, des lobbys français y compris, nous ont sabordés ! », assure Roland Albignac.
Des réussites écologiques locales en exemple
De cette conférence, restent des souvenirs et un carnet d’adresse. L’écologue poursuit son travail à Besançon tout en étant missionné par les Nations Unies à plusieurs reprises. Sa retraite en 2005 lui permet de voyager encore et toujours pour comprendre le fonctionnement des différents milieux naturels du monde.
Un parcours qu’il retrace dans son livre avec plusieurs exemples locaux concrets d’écologie durable et efficace. « La méthanisation à la ferme de They en Haute-Saône ou la réhabilitation des tourbières dans le Haut-Doubs, ce sont de très bonnes choses. À l’inverse WWF (une ONG internationale dédiée au développement durable) c’est devenu une pompe à fric pour le greenwashing (Ndlr : technique marketing pour donner une image verte à des entreprises). L’ONF ne veille pas à la bonne santé de notre forêt, elle produit du bois. A la Cop27, Emmanuel Macron vante l’écologie vertueuse de la France et d’autre pays européens. C’est plus facile de l’être une fois que toutes les ressources fossiles ont été consommées et qu’on est un pays riche. On n’est absolument pas vertueux par rapport aux dégâts du passé. On a fait des choses scandaleuses et on dit maintenant aux pays pauvres : ne vous développer pas comme nous, démerdez-vous. »
« On a fait des choses scandaleuses et on dit maintenant aux pays pauvres : ne vous développer pas comme nous, démerdez-vous. »
Le 26 novembre, « La Terre est nous » fêtera sa première année de parution. Roland Albignac participe le même jour aux débats de l’Université de la Terre, à la maison de l’UNESCO où il est invité comme conférencier. Parallèlement, le bisontin enchaîne les réunions locales comme à Larnod le 18 novembre où dans des écoles. « Il n’y a pas de petite chose, la pédagogie doit se faire à tous les étages », insiste l’intéressé, y compris chez les plus puissants. Une grande banque mondiale l’a récemment contacté pour une nouvelle mission à 82 ans : démasquer des organismes adeptes du greenwashing.
La carrière de Roland Albignac retrace trente ans d’inaction politique et climatique, pour lesquelles l’écologue ne lâchera rien. Un combat paradoxalement pour l’Homme avant la planète. « Quand nous aurons disparu, la Terre mettra 200 ans tout au plus pour effacer notre trace. Nous sommes en train de nous auto-détruire. L’urgence c’est d’utiliser 80% de la planète de laisser le reste à la nature. »
M.S