Besançon. Affaire Goodyear : une requalification des poursuites et une suspicion de scandale

De nouveaux éléments renforcent l'enquête de la justice française. Aux précédentes poursuites, s'ajoutent désormais les délits de pratiques commerciales trompeuses et de tromperie sur les qualités substantielles de marchandise ayant pour conséquence de rendre cette marchandise dangereuse pour l’homme. Les représentants de Goodyear France et Goodyear Opération seront entendus le 13 mai 2025.

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Le procureur Étienne Manteaux en train de s'exprimer
Le procureur Étienne Manteaux a fait un dernier point avant de quitter ses fonctions à Besançon pour rejoindre Grenoble. Photo MS.

Avant de quitter la ville pour rejoindre Grenoble, Étienne Manteaux, le procureur de la République du Tribunal de Besançon souhaitait faire un dernier point sur « l’affaire Goodyear ». Un dossier porté avec une immense conviction pendant plus de dix ans par Sophie Rollet, épouse de Jean-Paul Rollet, conducteur de poids-lourds tragiquement disparu à la suite d’un accident en 2014 provoqué par l’éclatement d’un pneu. La plaignante a longtemps bataillé seule avec ses moyens, face à une multinationale dont le chiffre d’affaires pèse plus de 19 milliards de dollars.

 « Personne n’a mesuré l’ampleur du dossier », avant Sophie Rollet

La piste d’un scandale se précise au fil des semaines et le combat de cette mère de trois enfants, originaire de Geney (Doubs), semble toucher au but. Au centre du dossier traité par le tribunal bisontin, un pneu Goodyear, le modèle marathon LHS II, impliqué dans plusieurs accidents entre 2010 et 2016, dont celui de Jean-Paul Rollet. La plainte contre X de sa femme constitue aujourd’hui « le dossier-source de toute cette histoire », rappelle Étienne Manteaux qui n’hésite pas à saluer « la pugnacité » de Sophie Rollet. « Personne n’a mesuré l’ampleur de ce dossier avant elle. » Parmi les sept accidents provoqués par l’éclatement d’un pneumatique Goodyear Marathon LHS II et retenus dans cette enquête, trois d’entre eux ne sont pas prescrits. Jusqu’ici, le magistrat instructeur poursuivait les sociétés Goodyear France et Goodyear Opération en tant que personne morale pour homicides involontaires. Les récentes avancées de l’enquête et les éléments mis en évidence changent la donne. « J’ai considéré que ce n’était pas suffisant pour restituer l’ampleur de la responsabilité incombée à la société. Pour une personne morale, le risque pénal est une amende de 375 000 € ». Insuffisant pour la justice française et Sophie Rollet.

« Une pratique systémique de dissimulation d’informations »

« Une pratique systémique de dissimulation d’informations et d’éléments connus par la société dès 2013 est apparue au cours de cette information judiciaire », poursuit le procureur. La même année, l’entreprise lance en Espagne un programme volontaire d’échanges des pneumatiques mis en cause. Celui-ci est étendu à la France au mois d’avril 2014 sous le nom de « Tango » et prolongé jusqu’en 2015. À l’issue de ces programmes volontaires, Goodyear n’a obtenu que 50% de retour. « La société savait qu’un problème existait. Face aux éléments remontés du terrain, aux accidents liés à l’éclatement d’un pneu, si ce programme volontaire d’échange avait été une campagne de rappel obligatoire, les accidents suivants n’auraient peut-être pas eu lieu », renchérit Étienne Manteaux.

Un choix lourd de sens qui a motivé le procureur à étendre la saisine du juge d’instruction à d’autres infractions. À ces poursuites pour homicides involontaires, s’ajoutent désormais les délits de pratiques commerciales trompeuses et de tromperie sur les qualités substantielles de marchandise ayant pour conséquence de rendre cette marchandise dangereuse pour l’homme. Une requalification pour des condamnations beaucoup plus lourdes. « Ces deux infractions font encourir à la personne morale une amende évaluée jusqu’à 10% du chiffre d’affaires. » Dans ce cadre, les représentants des deux personnes morales poursuivis, seront entendus le 13 mai 2025.