Des défis anciens en matière de défense européenne
Si l’Europe a fait beaucoup de progrès et est apparue…unie ?…dans le contexte de tension entre la Russie et l’Ukraine, il reste des défis politique, technique et technologique pour lesquels les 27 états membres ont chacun des intérêts particuliers à défendre.
Dès 1950 est esquissé un projet de traité instituant une « Communauté Européenne de Défense » (CED). La CED devient un traité signé par 6 Etats en mai 1952. Lors d’un vote le 30 août 1954, l’Assemblée Nationale française refusera de le ratifier.
La Communauté européenne de défense voulait instituer la création d’une armée européenne, avec des institutions supranationales, supervisées par le commandant en chef de l’OTAN, lui-même nommé par les Etats-Unis.
Querelle à l’époque sur le réarmement potentiel de l’Allemagne fédérale moins de 6 ans après la fin de la guerre, volonté des Etats-Unis de maîtriser le continent européen, positions ambigües de la classe politique française… ce qui devait préfigurer la création d’une Europe politique était mort-née.
Coralie Mayeure-Carpentier, Maître de conférences en Droit Public à l’Université de Franche-Comté le souligne « alors que l’aspect économique de l’Union Européenne n’était qu’un outil à l’époque (la CECA), le marché devient rapidement le seul point commun aux pays européens ».
Le divorce est-il consommé entre les élites de Bruxelles et les peuples européens ?
Le référendum constitutionnel de 2005, puis le Traité de Lisbonne en 2008 ont laissé des traces indélébiles, renvoyant dos à dos la technocratie bruxelloise et les citoyens européens. Coralie Mayeure-Carpentier est une experte en droit européen. Dans son introduction, elle a tenté avec talent de justifier le traité de Lisbonne comme l’Alpha et l’Omega de la construction européenne.
Pourtant, traiter de la longueur des cuisses de grenouilles n’a fait qu’exacerber les nationalismes, repoussant aux calendes grecques la construction d’une Europe politique et fédérale.
La cyber sécurité au cœur de l’avenir européen
A 47 ans, le sénateur du Haut-Rhin Ludovic Haye est « une pointure » en matière de cyber sécurité. Risques numériques, sécurité intérieure, cyber sécurité, il a assuré pendant près de 20 ans la sécurité informatique de PSA ou de multinationales.
« Les données informatiques sont la source du pouvoir au XXIe siècle » dit-il. Aujourd’hui, 33% des données numériques mondiales sont stockées aux Etats-Unis, la France n’en maîtrise que 2%. Difficile dans ces conditions de parler d’indépendance numérique européenne. En 2020, le volume de données crées dans le monde a atteint le record de 64,2 zettaoctets…ça vous parle ? Soit plus de 64 mille milliards de milliards d’octets !
Pour le sénateur Agir du Haut-Rhin « quel rôle peut encore jouer l’Europe malgré les USA. Entre le soft (américain) et le hard (chinois), il est encore temps de construire une Europe numérique. Il manque toujours la volonté politique ».
« Après la guerre, nous reviendrons à nos travers »
Le général de corps d’armée Jean-Paul Perruche a le langage cash des anciens militaires de haut rang confrontés aux terrains de guerre du Kosovo ou du Tchad et aux conflits plus feutrés des Etats-majors internationaux. Bisontin de naissance, il fut aussi le général commandant l’Etat-major de la force n°1 à Besançon en 2001. Il a été également Directeur général de l’Etat-major de l’Union Européenne.
« Nous ne sommes pas chez les Bisounours » assène cet expert en stratégie militaire. « Quelle Europe devons-nous défendre, un continent apparaissant encore comme idyllique par de nombreux pays ». La France, puissance nucléaire, a pourtant peu de moyens à déployer dans les guerres conventionnelles « Sur 80 000 hommes dans l’armée, 15 000 sont déployables. Nous disposons de 200 avions et 200 canons ». Pour le général Perruche, le danger vient (il partage le constat avec Ludovic Haye) des guerres hybrides, sorte de mélange entre la guerre conventionnelle et l’utilisation de l’intelligence artificielle pour créer et développer des conflits.
Une conférence qui donne des frissons sur l’avenir de l’Europe. L’Union Européenne demeure un nain sur l’échiquier mondial. Les Etats-Unis maintiennent leur tutelle sur le vieux continent avec la complicité de l’Allemagne et de la plupart des pays de l’Europe orientale. La maîtrise totale américaine du monde numérique est un fait. « Nous avons les compétences, les savoir-faire, les moyens de retrouver la souveraineté du continent européen…encore faut-il en avoir la volonté politique » ont conclu les trois intervenants.