Michelle Géhant, présidente des Bouilleurs de Cru

La présidente de l’association des Récoltants de Fruits et des Syndicats de Bouilleurs de Cru Franche Comté – Bourgogne tient à le rappeler d’emblée : l’abus d’alcool est dangereux pour la santé et la consommation avec modération est de mise. Son combat, faire perdurer une tradition bien ancrée en milieu rural.

851

A quand remonte la distillation ?

On retrouve déjà des traces plusieurs siècles avant Jésus-Christ. Le premier appareil à distiller aurait été inventé par une alchimiste juive appelée Marie dont le système de cuisson consistait à utiliser un bain à la place d’un chauffage à nu… méthode qui a pris le nom que tout le monde connait aujourd’hui encore de bain-marie. C’est ce système qui est utilisé depuis des siècles par les bouilleurs de cru donc c’est vraiment une tradition qui vient de très loin…

Qui peut pratiquer cette distillation ?

Tout le monde, à la simple condition d’être propriétaire ou métayers ou vignerons d’avoir des arbres fruitiers ou une vigne, de distiller sa propre récolte dans un atelier public, ou chez un professionnel en ayant effectué une déclaration aux Douanes. Les particuliers qui distillent leurs fruits sont appelés « bouilleurs de cru », ce sont eux que nous défendons dans notre association. Ils étaient très nombreux il y a encore un siècle car chaque ferme par exemple avait son verger et bien souvent son propre alambic. Aujourd’hui, en Bourgogne Franche-Comté, notre association regroupe 780 bouilleurs de cru.

Revenons sur les conditions, pouvez-vous préciser ?

Acheter des fruits pour distiller est strictement interdit. En effet, il faut avoir un ou des arbres sur son terrain pour récolter suffisamment de fruits. Concrètement, il faut être en mesure de remplir un tonneau de 60 à 80 litres minimum de fruits issus d’arbres arrivés à maturité pour se présenter à l’alambic public communal une fois la fermentation terminée. A notre époque il n’est plus possible de le faire à domicile. Un de nos combats est d’ailleurs de convaincre les collectivités de ne pas fermer ces ateliers mais au contraire de sauvegarder les alambics qui sont de véritables éléments du patrimoine et de faire pérenniser cette tradition et sauvegarder les variétés anciennes et locales de fruitiers.

Quelles autorisations faut-il obtenir ?

Pour notre région, toutes les demandes sont désormais à adresser aux services des douanes à Lons-Le-Saunier, 30 jours avant la distillation et l’autorisation du maire d’utiliser le local et bien sûr à l’alambic. Un document officiel existe, le DSA (Document Simplifié d’Accompagnement). Une fois ce document validé, le jour J, toutes les opérations doivent être notées en détails par le distillateur : horaires, type de fruits, quantité… La distillation ne peut se faire que de 6h à 18h et jamais les dimanches et jours fériés.

La législation a récemment évolué. Qu’en est-il ?

Depuis le 1er janvier en effet, les bouilleurs de cru qui bénéficiaient d’un privilège, à savoir une exonération héréditaire n’y ont plus droit. Ça ne concernait plus que quelques personnes souvent très âgées. Par contre, maintenant, tous les bouilleurs de cru sont exonérés de taxes sur les 50 premiers litres d’alcool pur par campagne de distillation. Sachant que l’immense majorité des producteurs d’eau-de-vie ne dépasse jamais les 10 ou20 litres, cela revient quasiment à une exonération complète des droits d’accise. La déclaration reste quand même obligatoire.

Une victoire pour les associations comme la vôtre ?

C’est en effet une mesure qui pourrait encourager de nouvelles personnes à distiller leurs fruits. Nous avons par ailleurs obtenu de continuer à avoir affaire aux douanes et non à la direction générale des finances publiques ce qui nous inquiétait beaucoup, tout comme l’idée de nous obliger à avoir un numéro SIRET, ce qui a aussi été abandonné.

Comment voyez-vous l’avenir de cette pratique traditionnelle ?

Il y aura toujours des arbres fruitiers. Encore faut-il s’adapter aux changements climatiques qui entrainent des situations extrêmes. Notre association et notre fédération sont là pour informer, conseiller et accompagner si besoin ceux qui veulent franchir le pas. C’est une question de défense de nos territoires, de nos paysages et de nos traditions. Pour que l’on parle encore de distillation dans 20 ou 30 ans, il faut que les nouvelles générations s’y intéressent et que la consommation d’eaux de vie blanches revienne dans les habitudes. Bien entendu, je le répète et j’insiste, en consommant avec modération !