« Une des plus grandes lois de la société ». Voilà comment le docteur Jacques Navet, ancien gynécologue à la clinique Saint-Pierre de Pontarlier, qualifie la loi Veil, dépénalisant l’IVG, qui fête cette année ses 50 ans. Aujourd’hui âgé de 80 ans, le retraité se souvient très bien de ce passage. « J’avais tout juste 30 ans, je venais d’arriver à Pontarlier en novembre 1974. Étant gynécologue, j’étais d’autant plus concerné. Avant cette loi, l’avortement était interdit et réprimé. Les médecins qui le pratiquaient pouvaient être radiés, peut-être à vie ».
Malgré ce risque, Jacques Navet a réalisé des avortements clandestins avant la promulgation de la loi. « On n’a pas vraiment peur quand on a des convictions bien arrêtées. Et puis, quand on est jeune, on n’y pense pas. Il faut dire aussi qu’il y avait un mouvement déjà bien amorcé, notamment avec le MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception), le manifeste des 343, celui des 331 médecins ou encore le procès de Bobigny », rappelle le médecin.
La loi Veil, « une délivrance »
Son engagement vient des années où il était médecin à l’Hôtel-Dieu à Lyon. « Le service recevait toutes les fausses couches de la région lyonnaise, qu’elles soient spontanées ou provoquées », mais c’est un souvenir en particulier qui l’a marqué : « j’ai vu une femme de 30 ans, allongée sur une table de l’institut médico-légal. Sa couleur de peau était ocre jaune, caractéristique d’une septicémie. Une femme pouvait mourir d’un avortement, c’était terrible. Sans compter les autres femmes qui avaient des complications pouvant aller jusqu’à la stérilité ».
« Il pouvait y avoir aussi des hémorragies ou des infections. La loi a résolu ce souci de complications. L’avortement devenait officiel et encadré », témoigne Pierre Boyadjian, ancien chef de service gynécologie obstétrique au Centre Hospitalier Intercommunal de Haute-Comté (CHIHC) de Pontarlier. Malgré une éducation religieuse, il a vu dans cette loi « une délivrance. J’ai pu assister à des avortements clandestins lors de mes études. La patiente n’était pas très respectée. Ça restait quelque chose de barbare. Avec cette loi, on est passé dans le bien-être et dans le respect ».
Au-delà des complications, la loi a permis une égalité entre les femmes. « Il y avait une certaine injustice. Les personnes avec de l’argent se dirigeaient vers des cliniques suisses, dont le but était uniquement mercantile, lucratif. D’ailleurs, avec le passage de la loi et le remboursement de l’IVG sous Mitterrand, les cliniques à la frontière ont fait faillite », relève Jacques Navet.
Une mise en application difficile
Si la loi Veil, promulguée le 17 janvier 1975, a ouvert le droit à toutes les femmes de recourir à l’IVG, la mise en application pouvait s’avérer difficile. « Certains médecins étaient contre. La loi a prévu une clause de conscience. J’estime qu’on n’a pas à mettre nos jugements sur un fait de société. La loi doit être appliquée. C’est la porte ouverte à n’importe qui. Si tout le monde prend cette clause, personne ne pratique d’IVG. Il ne faut pas oublier que l’avortement est une décision douloureuse pour les femmes. Certaines ont des séquelles psychologiques à vie », souligne le docteur Navet. Réalisant déjà des avortements avant la loi, il a logiquement continué après son adoption : « certaines femmes venaient de loin, parfois du bas Jura. Quand on savait que vous pratiquiez l’IVG, le bouche-à-oreilles allait vite ».
Le 4 mars 2024, la France est devenue le premier pays au monde à inscrire la liberté de recourir à l’IVG dans sa Constitution. Une inscription désormais « plus difficile à abroger, mais rien n’est jamais acquis », prévient le docteur Navet.