Besançon. Procès Péchier : la défense dénonce une « construction intellectuelle » et demande l’acquittement

Les débats du procès de Frédéric Péchier, anesthésiste accusé de 30 empoisonnements dont 12 mortels, se sont terminés ce lundi 15 décembre, avec la plaidoirie de la défense. Toute la journée, Me Randall Schwerdorffer a déroulé son fil pour déconstruire plusieurs cas étudiés pendant les 14 semaines d’audience, dans l'espoir de semer le doute chez les jurés. Le verdict est attendu ce jeudi 18 décembre à partir de 9h.

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Randall Schwerdorffer, avocat de Frédéric Péchier. Photo d'archives CT

À quelques minutes du début de l’audience, Me Randall Schwerdorffer fait les cent pas.

D’ici peu, ce sera à son tour de plaider, pour défendre son client, le Dr Frédéric Péchier, accusé de 30 empoisonnements dont 12 mortels. Après 64 jours d’audience de ce procès hors normes, arrive le 65e, peut-être le plus important pour la défense. Ce lundi 15 décembre pourrait peut-être changer les convictions des jurés, au moins semer le doute. C’est ce qu’espère Randall Schwerdorffer qui, d’entrée de jeu, compare cette affaire à celle de Patrick Dils.

Frédéric Péchier, le nouveau Patrick Dils ?

Retour en 1986, le 28 septembre exactement, où deux adolescents de 12 ans sont retrouvés massacrés, dans ce petit village de Montigny-les-Metz. « On va isoler un jeune homme, bizarre. Il a 16 ans, une drôle de tête, un drôle de comportement. Il n’a pas les mêmes passions que les autres adolescents de son âge. Très vite on va le faire avouer. C’est le coupable. Un innocent n’avouerait jamais les faits ». Patrick Dils fera 13 ans de prison avant que l’enquête ne soit reprise et que le véritable meurtrier, le tueur en série Francis Heaulme, soit condamné. 

Frédéric Péchier. Photo : Cassandra Tempesta

« C’est grâce à cette affaire qu’on s’est rendu compte que les erreurs en Cour d’assises existent. Il y avait combien de chances que Patrick Dils se trouve à quelques mètres d’un des plus grands tueurs en série de notre époque ? Tout le monde s’était trompé ». En tirant ce fil, Maître Schwerdorffer invite les jurés à se défaire des préjugés. « On vous a dit, Frédéric Péchier, le coupable présumé, et pas le présumé innocent. Depuis huit ans, il est présumé coupable ». En mars 2017, « il faut un empoisonneur, il faut un nom, il faut un coupable. Comme dans l’affaire Patrick Dils, il fallait aller vite. Ce coupable, c’est Frédéric Péchier. Le travail va être de démontrer que Frédéric Péchier est coupable. On ne cherchera jamais ailleurs, c’est comme ça qu’on va construire l’affaire »

« J’estime qu’il n’y a aucun élément montrant que Frédéric Péchier a pu empoisonner »

La plaidoirie de Randall Schwerdorffer se tient sur deux lignes de défense : dénoncer le manque, voire l’absence de preuves selon lui, et démontrer que cette affaire est une construction intellectuelle. Alors il déroule son fil, en reprenant plusieurs cas étudiés pendant ces 14 semaines d’audience. Il s’attaque directement aux deux cas les plus emblématiques, celui des patients Sandra Simard et Jean-Claude Gandon intervenus en janvier 2017. L’accusation estime que Frédéric Péchier cherche à se venger de certains de ses collègues, dont le Dr Balon-Dole, en charge de Sandra Simard. Maître Schwerdorffer se réfère, lui, au témoignage d’une infirmière qui affirme avoir pris au hasard la poche polluée dans la salle d’accueil. « Comment Frédéric Péchier a pu faire en sorte que cette poche choisie aléatoirement soit celle pour empoisonner Sandra Simard ? ». L’avocat est d’accord, il s’agit bien d’un empoisonnement, au potassium, mais rien ne prouve selon lui que c’est Frédéric Péchier qui l’a commis. Et en ce qui concerne le fait que ce soit son client qui ait injecté du gluconate de calcium, « à l’époque, personne n’avait trouvé ça étrange. Dix jours après le début de l’enquête, après avoir désigné Frédéric Péchier coupable, ça devient anormal »

Une absence de preuves pour Randall Schwerdorffer, qui se retrouve dans le cas Jean-Claude Gandon, patient de Frédéric Péchier, utilisé comme « alibi » selon l’accusation. Son avocat revient sur cette fameuse porte, celle où selon lui on peut rentrer sans être vu, et « polluer, en vitesse ». « L’accusation dit “vous avez créé cet alibi car vous saviez que la police arrivait”. La police judiciaire arrive à 10h, l’EIG (événement indésirable grave, ndlr) arrive à 9h. S’il y a bien quelqu’un qui n’est pas au courant de la venue de la police judiciaire, c’est Frédéric Péchier. J’estime qu’il n’y a aucun élément montrant que Frédéric Péchier a pu empoisonner ou qu’il ait pu être impliqué dans les empoisonnements »

Jean-Claude Gandon (premier plan) et Me Berna. Photo CT

« Que fait-on avec des dépositions contraires ? On prend celle qui nous arrange ? »

Randall Schwerdorffer remonte ensuite le temps pour replonger les jurés en 2008, avec le cas Damien Iehlen, patient du docteur Catherine Nambot. « Ce n’est pas n’importe qui, elle est très amie avec Frédéric Péchier, et compagne de Sylvain Serri. Il n’y a aucun grief entre les deux à l’époque. Ça défie toute la logique de l’accusation. Les enquêteurs ne parlent jamais d’une déposition faite par Catherine Nambot disant “le docteur Péchier m’a assisté, je lui ai demandé de venir m’aider pendant l’intervention de M. Iehlen”. C’était en 2009. En 2017, elle dit “je n’ai pas compris pourquoi il est venu m’assister alors que je n’avais pas besoin de lui”. C’est ça qui fait l’implication de Péchier pour le cas Iehlen. Rien d’autre. Que fait-on avec des dépositions contraires ? On prend celle qui nous arrange ? ».

Quelques jours plus tard, un autre EIG intervient, sur Suzanne Ziegler, patiente du Docteur Arbez. « Frédéric Péchier n’a aucun problème avec elle. Ce jour-là, Sylvain Serri va l’aider, ça ne pose de problème à personne. Frédéric Péchier va aider. Aucun diagnostic ne sera fait par lui. Comme c’est un EIG, on va considérer que c’est Frédéric Péchier, parce qu’il est intervenu, parce qu’il était là. Rien que sa présence devient un élément de preuve à charge »

« On n’est plus dans la preuve pénale, on est dans le scénario, la fiction judiciaire »

Petit à petit, Randall Schwerdorffer continue sa plaidoirie, déconstruit plusieurs cas. Il ne les analyse pas tous, « il y en a trop ». Il met en avant « la qualité extraordinaire de Frédéric Péchier, son invisibilité », la « fragilité d’un temoin oculaire », le changement de mode opératoire ou revient sur le cas de Laurence Nicod, où « le diagnostic est bien fait par Sylvain Serri. Comment un élément à charge dans le diagnostic de Mme Nicod peut être accablant pour Frédéric Péchier mais anodin pour Sylvain Serri ? C’est ça aussi le dossier Péchier, c’est que tout se transforme. On n’est plus dans la preuve pénale, on est dans le scénario, la fiction judiciaire ». L’avocat de la défense continue de dérouler son fil en rappelant le désaccord entre deux collèges d’experts pour les cas de la Polyclinique de Franche-Comté. Il mouille même sa robe en faisant une démonstration de pollution de poches de perfusion devant des jurés. 

Scellés Péchier. Photo CT

« Je vous demande d’acquitter purement et simplement Frédéric Péchier »

Pour Randall Schwerdorffer, dans ce dossier, il y a une absence de preuves récurrente, une « construction intellectuelle de l’accusation, une contradiction entre collèges d’experts ». À ses yeux, il y a de la place au doute. « Frédéric Péchier a pu empoisonner des patients, mais nous ne savons pas s‘il a empoisonné des patients. La Cour d’assises n’est pas là pour croire, penser, supposer que. Elle n’a qu’une vocation, c’est savoir s’il est coupable. Il n’y a qu’une seule question à se poser ? Est-ce qu’il y a des preuves sérieuses, certaines ? Je reste convaincu de l’innocence de Frédéric Péchier. Je vous demande d’acquitter purement et simplement Frédéric Péchier ». Un acquittement demandé par la défense après que l’accusation ait requis la réclusion criminelle à perpétuité avec une période de sûreté de 22 ans. 

À la fin de cette dernière journée d’audience, Frédéric Péchier est appelé à la barre. « Ça fait 8 ans que je me bats contre le fait qu’on me présente comme l’empoisonneur. Je le dis, je le dirai toujours, je n’ai jamais empoisonné quelqu’un. Je ne suis pas l’empoisonneur. Contrairement à ce qu’on a pu dire, le serment que j’ai prêté en 1999, je l’ai toujours respecté, c’est le serment d’Hippocrate ». Les jurés, accompagnés de la présidente Delphine Thieberge et des deux assesseurs, se sont repliés pour délibérer. Ils devront répondre à 60 questions pour déterminer à chacune d’elles si Frédéric Péchier est coupable ou non. Le verdict est attendu ce jeudi à partir de 9h.