« Ce qui est étonnant ce n’est pas vraiment le coup de froid du début d’avril, ça on a l’habitude. C’est cette semaine de chaleur fin mars, qui a entrainé beaucoup plus de dégâts. » A travers ses rangées de vignes, Stéphane Tissot constate les dégâts. Le sentiment est plutôt mitigé. « Il y a des bourgeons qui se sont déjà ouverts, avec la dernière semaine du mois de mars très ensoleillée, où l’on a atteint les 20°C. Sur certains pieds, on peut voir que ces bourgeons ont une couleur jaunâtre, sont flasques, foutus en résumé. C’est un peu le même effet qu’un coup de soleil, il est grillé, il ne produira rien. D’autres sont encore très verts, certains sont partiellement touchés mais devraient donner quelque chose. Dans le sud du Jura, ils sont un peu en avance, les dégâts sont plus importants. »
Retarder le gel sans brûler
Le viticulteur d’Arbois n’a pas encore fait le tour de ses 50 hectares de vignes mais se veut rassurant : les pertes sont moins importantes que l’an dernier à la même période. Des bourgeons moins développés grâce notamment aux différentes techniques de retardement.
« Quand on organise la vigne, on laisse deux baguettes que l’on coud sur les fils pour qu’elles poussent à plat. C’est une liane, ce sont toujours les bourgeons les plus hauts qui poussent en premier, le principe de l’acrotonie. Sur un tiers des vignes, nous avons laissé une troisième baguette droite que l’on ne touche pas. En laissant cette baguette poussée, les bourgeons à l’extrémité se développent en premier et les autres pas encore ouverts ne craignent pas encore la gelée. C’est une baguette « en rab' ». Si ça gel à nouveau nous aurons gagné du temps sur la partie qui n’a pas encore débourré, pendant deux à trois semaines. »
Une taille en pisse-vin, couplée à une autre, plus classique dont la durée de retardement est plus courte : les baguettes normalement pliées sont laissées debout et si une vague de gel survient, les extrémités sont coupées puis les baguettes sont rabattues sur les fils. » Je ne veux pas griller de carbone ou faire des feux comme on peut le voir ailleurs. La gelée d’avril fait plus de mal a cause du réchauffement climatique qui survient juste avant. », poursuit Stéphane Tissot.
80 % de la récolte 2021 perdue
Un premier épisode de gel tardif à relativiser encore un peu plus lorsqu’on regarde un an en arrière. En 2021, la gelée, la grêle et le mildiou avaient détruit près de 80% des récoltes du Jura. « Pour vivre convenablement en bio, ce que je fais depuis 24 ans, il faut produire en moyenne 30 hectolitres par hectare. L’an passé j’en ai fait 11. Il y a eu une aide financière de l’État versée la semaine dernière, mais ça ne remplace pas un millésime. Nous ne sommes pas les plus à plaindre dans le Jura mais personnellement il faudra donc deux années à 40 hectolitres/hectare pour compenser. Le défi de la prochaine génération de viticulteurs sera de trouver des solutions pour combattre ces changements climatiques et adapter la culture par rapport à nos gelées. »
Une amplitude de 30 à 35 degrés pour les arbres du Haut-Doubs
Paradoxalement, les forêts du Haut-Doubs si fragiles en été avec les sécheresses successives, sont bien plus résistantes à de telles variations de températures que les essences d’arbres tropicaux. Depuis 2017, l’ONF a lancé partout en France une expérimentation d’ilots d’avenir permettant de « tester » de nouvelles essences d’arbres dans des régions où le réchauffement climatique fait le plus de dégâts, comme le Haut-Doubs. La forêt de levier compte des îlots de ce type. « On s’est rendu compte que ces essences n’ont pas du tout apprécier le changement drastique de température en passant en négatif une semaine après avoir dépassé les 20°C », explique Didier Segaud, responsable pour l’ONF sur le secteur.
Autre observation notable pour le garde forestier, les bénéfices du gel sur les premières envolées de scolytes. « Il est ré-apparu avec les bonnes températures et le gel a plombé son développement. Pour le moment sur le Haut-Doubs, l’impact de cette météo capricieuse n’est pas assez significatif. Les forêts en plaine par contre vont subir de lourdes pertes. Les arbres fruitiers avaient déjà commencé à fleurir, la végétation a démarré. Tout a gelé, ça peut poser de sérieux problèmes ». Didier Segaud reste tout de même sur ses gardes : un second épisode avec de telles variations plus tard dans la saison pourrait avoir des conséquences à l’été aussi dans le Haut-Doubs. La production du bois et la photosynthèse pourraient être touchées.
Un temps ensoleillé à cette période du mois de mars est également problématique pour les réserves en eau de la forêt assure Didier Segaud. « Le déficit hydrique et les chaleurs inhabituelles provoquent un risque d’incendie important et la mort des arbres, en tension permanente depuis plusieurs années. Il faudrait une pluie régulière en avril mai et juin pour tenir en juillet et août 2022 ».
Martin Saussard