Le 17 août dernier, la Préfecture du Doubs prend la décision d’interdire la pêche sur l’ensemble des cours d’eaux de première catégorie. Une fin prématurée demandée par les passionnés après un mois de juillet dévastateur pour le monde aquatique.
Cette annonce a passablement énervé le collectif S.O.S Loue et rivières comtoises qui depuis plus de 10 ans veille à protéger la nature du Département. « Le premier problème concerne la qualité de l’eau et les interdictions ne vont pas résoudre ça. Depuis 2018, le problème de quantité s’ajoute à celui de la qualité. La température de l’eau augmente et devient dévastatrice pour les poissons. Au-delà de 23°c certaines truites meurent, c’est leur température létale. », explique Manon Silvant, membre du collectif.
Cet été, la Loue a dépassé la température létale des truites
Au printemps la température de la Loue était de 11°c. Un chiffre de saison avant les fortes chaleurs de juillet où certaines zones de la rivière montaient jusqu’à 24°c. « Les poissons tentent alors de se réfugier dans des « froidières » pour survivre. Les données étaient connues, il fallait réagir à ce moment-là ! Prendre la décision à la mi-août quand les températures sont redescendues (et tant mieux), c’est trop tard. […] L’économie et le tourisme ont comme d’habitude été privilégié. Là c’est la fin de saison très peu de monde vont être impacté. », poursuit la militante. La météo a depuis été plus clémente, la pluie est revenue, les cours d’eau ont légèrement réapparu.
Une bonne nouvelle ? Pas vraiment. Jean-Michel Blondeau, membre de l’AAPPMA (Association agréée de pêche et de protection des milieux aquatiques) d’Ornans, a réalisé des analyses de l’eau vendredi 19 août. Sur le réseaux sociaux, l’expert exprime son désarroi : « […] Nous avons fini les analyses de l’eau hier à minuit et demi et la seule bonne nouvelle est une baisse drastique de la température. Sinon, c’est carrément l’horreur. De plus pour les premières heures, les niveaux des pollutions retrouvés cette nuit peuvent être augmentés de 50% ! A 22h20 la conductivité était de 395 (μS·cm–1), mais a 16h00 j’avais trouvé 590 avant que les batteries ne lâchent. L’eau était presque claire à 22h20 alors qu’à 16h on avait ramassé de la soupe. » commente Jean-Michel Blondeau, joignant quelques exemples : 20mg/litre de nitrates quand la valeur max est de 3 pour qu’une rivière soit considérée comme en bon état. 20mg/litre aussi pour les chlorures et 0,6mg/litre de phosphates quand il en faudrait maximum 0,03mg/litre.
Des dégâts constatés depuis plus de dix ans
Le retour de l’eau dans les rivières draine à nouveau toute la pollution aquatique stockée dans les secteurs à sec. Entre 2012 et 2020, une étude menée par le laboratoire chrono-environnement en partenariat avec l’Université de Franche-Comté a démontré les dégâts déjà visibles sur la Loue : « Les potentiels piscicoles et en particulier salmonicoles sont réduits de 50 à 80 % selon les secteurs. Les années sans crues « lessivantes » semblent favoriser l’efficacité́ de la reproduction de l’ombre et de la truite mais, même dans ces conditions, la survie est faible dès la deuxième année pour ces 2 espèces. Cette forte mortalité avant la maturation sexuelle s’étend aussi aux nombreuses truitelles nées dans les affluents, qu’elles dévalent ou non dans la Loue. »
« La source du Doubs était à sec pendant quinze jours, la source de l’Ain est à sec, le Saut du Doubs ne coule plus. J’étais ce mardi au bord de l’Orbe près des Rousses là où la tourbière ne coule qu’à moitié alors que les tourbières alimentent en eau les rivières. La situation est assez catastrophique. », résume Jean-Pierre Hérold spécialiste en Faune aquatique. De l’eau, on en trouve encore en sous-terrain avec un débit trop faible. « Les rivières malades souffrent de la sécheresse, de la température excessive et de la surexploitation. Il manque de l’eau dans une vingtaine de communes du Haut-Doubs et du Haut-Jura, donc l’eau est puisée ailleurs là où il en reste. »
Une facture d’assainissement de plus en plus conséquente pour les ménages ?
Pour le spécialiste, la gestion de l’eau reste un enjeu majeur qui manque cruellement de moyen. « Il faut conserver les zones humides et arrêter de penser comme nos prédécesseurs. L’eau ne doit pas être drainée il faut l’entretenir dans un même lieu. La recherche de l’eau coûte aussi beaucoup plus cher et le prix actuel payé par les ménages n’est pas suffisant. Sur le long terme, la facture de l’assainissement pourrait être de plus en plus conséquente. », assure Jean-Pierre Hérold.
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Les fromageries dans le viseur
La sécheresse et le réchauffement climatique ne sont pas les seules causes du péril aquatique que subisse les cours d’eau du Département. En 2020, le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux montrait que seulement 20% des masses d’eau du Doubs était en bon ou très bon état. S.O.S Loue et Rivières comtoises cible un autre responsable des cours d’eau pollués : les fromageries. La récente condamnation de la fromagerie Monnin à Chantrans et Perrin à Cléron pour pollution (Ndlr : un appel a été prononcé) est une première victoire pour le collectif et Manon Silvant : « Suite à cet événement, la Préfecture a lancé une étude sur le nombre de fromageries qui polluaient les cours d’eau par manque de considération. Ils en ont recensé plus d’une quinzaine avec des procédures en cours. L’ancien préfet avait dit que nous faision de « l’agri-bashing ». On ne peut pas se voiler la face éternellement ».
M.S