La venue du Président de la République jeudi 27 avril au Château de Joux pouvait marquer un tournant. Pour l’homme, pour l’hommage, pour le territoire. Reste finalement de ce rendez-vous les choix solitaires d’un homme, une image dont Emmanuel Macron peine à se détacher depuis le début de son second mandat. Après l’Alsace, le Languedoc-Roussillon et le Centre, la Franche-Comté accueillait « sa » visite présidentielle prévue dans le cadre des 100 jours d’apaisement voulu par le Président. Avec le 220e anniversaire de la mort de Toussaint Louverture et le 175e anniversaire de l’abolition de l’esclavage, l’hommage organisé au Château de Joux était plus qu’opportun pour un Président en quête de symboles.
Contrairement aux autres déplacements, le lieu paraît plus simple à sécuriser. Plus haute prison de France, comme aime le rappeler Pierre-Yves Bocquet, directeur adjoint de la fondation pour la mémoire de l’esclavage, le Château de Joux surplombe le Haut-Doubs. C’est ici qu’en 1802, le premier consul Naopléon Bonaparte décide d’enfermer Toussaint Louverture, militaire et général révolutionnaire, dont le principal combat fut pour l’indépendance d’Haïti. L’homme meurt en héros dans sa cellule, en 1803. Ce jeudi 27 avril, 220 ans plus tard, le site historique est totalement cerné par les forces de l’ordre. Les révolutionnaires modernes sont contenus près du rond-point Malraux de Pontarlier, à trois kilomètres du Château.
Un détour imprévu à Dole
Le déplacement du Président semble alors imperturbable jusqu’à l’atterrissage de son Falcon à l’aéroport de Tavaux. En chemin pour le Haut-Doubs, Emmanuel Macron décide d’aller au contact du public, sur le marché de Dole (Jura). Préfecture, mairie, policiers et gendarmes ne sont prévenus que quelques minutes avant son arrivée. « C’est toujours comme ça, quand il décide, on fait. », confie un membre de l’Élysée. Ce qui ne devait être qu’un « saut » deviendra l’événement majeur de la journée ou presque à l’échelle nationale. Au pied de la Collégiale Notre-Dame, les premiers échanges avec les manifestants sont un peu tendus. « Voiture de fonction, logement gratos, on n’a pas tout ça nous hein ! (sic) », « Tout est cher quand on fait ses courses ! Il y a des gens qui crèvent de faim », lâche une première habitante.
Tensions et bouchons sur la RN57
L’arrivée du Président à Dole se répand comme une trainée de poudre. En quelques minutes, plusieurs dizaines de personnes approchent et Emmanuel Macron, esquive les attaques et réussit son coup : échanger cordialement avec des habitants, entendre et montrer que les manifestants ne sont qu’une infime partie de la population. La présence de Fabrice Schlegel, figure doloise du mouvement gilet jaune, n’y change pas grand-chose.
Dans le même temps à Pontarlier, les manifestants, eux, sont désormais une centaine au rond-point Malraux et tentent de forcer le barrage de policiers. Insultes, coups échangés, gaz lacrymogènes, des scènes qui deviennent habituelles. Quelques personnes veulent alors grimper par la forêt avant d’être très vite rattrapées. Au Château de Joux, élus locaux, délégation haïtienne et journalistes, attendent.
Les syndicalistes tentent de forcer le barrage de gendarmes aux pieds du château de Joux dans lequel Emmanuel Macron va arriver dans quelques minutes après son bain de foule surprise à Dole. Utilisation de gaz lacrymogènes. Bruit assourdissant de casseroles. @LCI @TF1Info pic.twitter.com/RsWkR6vRxt
— Paul Larrouturou (@PaulLarrouturou) April 27, 2023
Homme contesté, chef d’État respecté
Emmanuel Macron quitte le Jura en hélicoptère, après une quarantaine de minutes. Dans le Doubs, il prend également du temps pour les quelques habitants qui attendent son arrivée. La Distillerie Pernot en profite pour lui offrir sa meilleure bouteille. Une fierté pour l’entreprise qui toutefois tempère sur les réseaux sociaux : « en dépit du contexte actuel, nous tenons à faire découvrir notre savoir-faire local et ancestral. » Si l’homme est plus que jamais contesté, son image de chef d’État n’est pas entachée. Les manifestants conspuent « Mr.Macron », les élus saluent « Mr. Le Président ». Une subtilité sur laquelle l’intéressé sait parfaitement jouer.
C’est par ailleurs un accueil Républicain qui l’attend au Château de Joux. Patrick Genre, président de la Communauté de Communes du Grand Pontarlier, propriétaire du site et Yves Louvrier, maire de la Cluse-et-Mijoux, guident le Président jusqu’aux portes du site. Une trentaine de journalistes l’attendent également pour obtenir un mot à son arrivée. Emmanuel Macron n’accordera pas un regard. Convoqués à 10h30, les médias devront encore patienter. « On essaie de lui glisser l’idée de s’arrêter en repartant… », confie un membre de son équipe, un peu embarrassé. Il est 13h30 et le Président débute son discours en hommage à Toussaint Louverture.
Un hommage et des sous-entendus
La presse locale n’aura jamais le droit d’échanger avec le Chef de l’État. Étrange conception « d’une immersion au plus près des Français ». Par chance, la déontologie des journalistes nationaux permet de suivre la journée. À l’intérieur de la salle des Armoiries, Emmanuel Macron rend hommage à un homme « Libre et Français, affranchi par les Lumières ». Un discours de près d’un quart d’heure dans lequel il glissera : « Mais, Toussaint Louverture avait compris que la seule insoumission était vaine. Voilà̀ pourquoi, contre les autres chefs de la révolte des esclaves, il prit le parti de la Révolution. Oui, la Révolution plutôt que l’insurrection. La liberté́ plutôt que la destruction. L’ordre au-dessus du chaos. […] Toussaint Louverture assurait en créole de sa confiance : « doucement allé loin ». Cela signifiait : prendre le temps de l’éducation et du dialogue, de la concorde et du respect, mais viser haut. Ce mot, faisons-le nôtre. »
« Il n’y a pas 36 solutions… »
À l’issue de ses mots, la petite équipe de journalistes est invitée à quitter les lieux. La suite de cette cérémonie est racontée par ceux qui l’ont vécue. « Le Président a rendu un très bel hommage à cette figure exceptionnelle. Une motivation d’abord mémorielle qu’il ne faut pas oublier à laquelle s’ajoute une immersion dans le territoire. Il tente de renouer le dialogue avec les Français sur le terrain. Ce détour par Dole montre bien cette double fonction de tels déplacements, il n’a pas le choix, il y a un tel fossé qui s’est creusé entre lui et les français qu’il n’y a pas 36 solutions… », analyse Annie Genevard, députée de la 5e circonscription qui a pu évoquer les enjeux du territoire frontalier, comme les tensions sur l’emploi ou le manque d’infirmières.
Le Président interpellé sur les enjeux locaux
« Je retiens ce discours, l’instant très solennel au moment où le Président a effectué le dépôt de gerbe aux pieds du buste de Toussaint Louverture. Il a insisté sur le travail mémoriel effectué par notre collectivité. Je l’ai senti très concerné, très intéressé par cette journée. Quand un Président se déplace, on lui parle aussi les yeux dans les yeux de nos problèmes. La RN57, le ferroviaire, l’économie… », poursuit Patrick Genre. Depuis 2003 et le 200eanniversaire de la mort de Toussaint Louverture, la Communauté de Communes du Grand Pontarlier a lancé un important travail de revalorisation du patrimoine de cette figure historique.
La saison touristique 2023 du Château de Joux a débuté depuis quelques semaines. Pour l’avenir, les élus ont aussi une autre idée : inscrire la Route des Abolitions au patrimoine mondial de l’UNESCO. La visite présidentielle, elle, ne devrait pas rester dans l’histoire. Sur les chaînes d’informations nationales, radios parisiennes et réseaux sociaux, on ne parle que des échanges à Dole et des tensions sur la RN57. Un simple geste de la main à travers la fenêtre de sa voiture, c’est tout ce qu’Emmanuel Macron accordera aux journalistes en repartant. Il donnera plus de temps pour son image en bas, auprès des enfants de l’école de La Cluse-et-Mijoux. « C’est super pour eux mais par exemple, l’enseignante doit sûrement lire la presse locale, s’informer avec les médias d’ici. Elle n’aura rien, tout ça pour ça… », soupire un membre de son équipe.
En voulant s’assurer d’une image proche des gens et d’un homme bienveillant, Emmanuel Macron aura réussi à esquiver les manifestants et les questions. Au mois de mai, les commémorations et hommages ne manqueront pas pour le Chef d’État. Suffiront-ils à faire oublier une contestation populaire qui dure ?
Le cadeau de la Distillerie Pernot
On lui a pourtant bien dit que c’était impossible et pourtant Manon Hély l’a fait ! La directrice adjointe de la Distillerie Pernot a réussi avec son équipe à stopper le cortège présidentiel pour offrir un cadeau au Président de la République. Mieux, c’est Emmanuel Macron en personne qui est descendu de la voiture pour aller saluer l’équipe. Pour ces quelques secondes d’échanges, une poignée de main et une photo souvenir, Manon s’est démenée toute la matinée. « J’ai couru vers tous les policiers pour savoir comment je faisais et tous me disait que c’était impossible. En expliquant la démarche ils m’ont dit que la bouteille pouvait être un projectile donc je devais la poser au sol et un membre de l’équipe présidentielle passerait la prendre. Nous avions fait une pancarte au bord de la route pour attirer l’oeil du Président et ça a marché ! Il est descendu, nous avons pu échanger quelques minutes sur notre travail et il est reparti avec notre absinthe. »
M.S