Daniel Joly, climatologue

Ce scientifique reconnu, directeur de recherche émérite au CNRS, répond aux questions que se pose le grand public quant au réchauffement climatique, non sans souligner la difficulté de rendre simple une telle problématique aux multiples interconnexions.

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Vu les températures des derniers jours, peut-on parler de réchauffement ?

C’est une erreur très fréquente de confondre l’étude du climat qui étudie les variations du climat sur le long terme, 30 ans au moins, et la météo qui s’attache au temps qu’il fait à court terme, ces derniers jours ou semaines. On n’est pas du tout sur la même temporalité et on ne peut donc pas résumer l’évolution du climat à la météo récente. Une semaine très froide n’est pas incompatible avec le réchauffement climatique.

 

Qu’en est-il alors de cette évolution dont on parle tant ?

Il faut pour cela s’appuyer sur des chroniques statistiques longues. C’est ainsi qu’en analysant les relevés effectués par Météo-France à Besançon depuis la fin du XIXème siècle nous constatons que oui, par paliers, nous avons connu une hausse extrêmement forte de la température moyenne. Un phénomène particulièrement marqué sur les 30 dernières années qui s’est accéléré depuis 2010. Ainsi, à Besançon, la moyenne 1891-1920 était de 9,9°C, cent ans plus tard, celle de 1991-2020 est de 11,2°C : +1,3°C, c’est énorme ! 2023 est l’année la plus chaude de la chronique de 134 ans : 13°C.

 

Parlez-nous d’une autre variable importante, les précipitations ?

Elles fluctuent beaucoup d’une année à l’autre mais globalement, sur le long terme, on ne constate pas d’écarts notables. Ce qui signifie qu’il tombe à peu près la même quantité de pluie aujourd’hui qu’il y a cent ans. Mais, comme les températures ont fortement augmenté, l’évapotranspiration (évaporation et transpiration des plantes) est beaucoup plus élevée d’où des situations de sécheresse de plus en plus fréquentes et marquées. L’eau disponible pour les sols et rivières est de ce fait moins importante, ce qui diminue le débit du Doubs en été et parfois dès le printemps. Un autre élément est à noter en la matière : le rythme des précipitations change. On observe la mise en place de séquences contrastées : moins d’eau durant l’été mais plus le reste de l’année, en hiver par exemple. De la pluie mais plus beaucoup de neige, là encore à cause des températures de plus en plus élevées.

 

Quels changements vont engendrer ces évolutions climatiques ?

Prenez l’exemple de nos forêts de plaine où les épicéas ont disparu ces dernières années. Même en montagne, épicéas, sapins, hêtres souffrent de la sécheresse. Il va falloir trouver des espèces plus résistantes au chaud, au sec… En matière d’agriculture, si le blé ne pose pas de problème puisqu’il pousse plutôt à un moment de l’année où il pleut suffisamment, ce n’est pas le cas du maïs. Ce dernier a besoin d’eau en été donc au pire moment. Il faut alors puiser dans les nappes phréatiques qui par ailleurs ont du mal à se régénérer. Cette ressource vitale qui diminue provoque des conflits d’usage entre les besoins de l’agriculture pour l’irrigation surtout et ceux de la consommation humaine. Là aussi, une évolution s’impose.

Et l’humain, comment vit-il ce changement ?

Attachés à leur confort, nos contemporains supportent de moins en moins ces températures estivales qui augmentent. Pour y remédier, ils ont recours aux climatiseurs qui fonctionnent à l’électricité, ce qui augmente la consommation d’énergies fossiles, donc la production de gaz à effet de serre et donc ce qui renforce le réchauffement climatique : c’est le serpent qui se mord la queue ! Il faut impérativement que l’on soit capable d’accepter une température intérieure de 26° lors des canicules. Sinon, nous ne ferons que confirmer les modèles actuels qui prévoient un avenir inquiétant. Et on projette là des températures moyennes qui risquent d’augmenter encore de 4° à l’horizon de 2100 ! C’est demain quand on parle climatologie.

 

Alors que faire ? Est-il encore possible d’agir et de réagir ?

La France s’y emploie, certes avec modération, mais c’est déjà ça quand, dans d’autres pays comme la Chine, la Russie ou les Etats-Unis, les questions climatiques sont loin d’être prioritaires. Mais rien ne bougera si on réagit ici en se disant : «  les autres ne font pas d’effort alors pourquoi en faire, nous »…. Alors oui, chacun peut faire des efforts, on l’a dit, en évitant de lancer la clim’ à tout bout de champ, mais aussi en isolant plus et en chauffant moins son logement en hiver, en évitant de prendre la voiture pour les petits trajets, en covoiturant… On dit bien que les petits ruisseaux font les grandes rivières. L’image est bien adaptée ici. Si nous changeons nos comportements on pourra freiner le réchauffement climatique qui deviendra irréversible au-delà d’un certain seuil. Mais pour cela il faut beaucoup de pédagogie, informer et éduquer pour changer la société.