
Le kiosque de Granvelle a d’abord pris des airs d’agora ce samedi 8 novembre. Au centre du pavillon, cinq citoyens bisontins, « électeurs de gauche », pour certains candidats sur des listes électorales par le passé. Ce sont surtout des habitants « inquiets » de voir la gauche bisontine « piétiner » dans cette course aux élections municipales 2026, faute d’union scellée. Quatre mois plus tôt au même endroit, certains membres « des 1200 » – des signataires d’une pétition prônant déjà une large union à gauche tout en visant à l’époque le Parti Socialiste et Place Publique – s’étaient réunis. Si le message est similaire, les cibles ont changé : c’est aujourd’hui la rupture annoncée entre les insoumis et les écologistes, fin octobre, qui déclenche ce nouveau rassemblement. Pendant cinq jours, un large « appel citoyen pour l’union des gauches et des écologistes » est diffusé. « Nous exprimons aujourd’hui notre inquiétude et notre lassitude face aux divisions partisanes récentes. […] Cette scission entre les partis de gauche crée incompréhension et fatigue démocratique, à un moment où l’action publique a besoin d’unité, de cohérence et de hauteur […] », peut-on notamment lire dans les premières lignes du communiqué.
Ces citoyens obtiennent une réponse ce samedi en provoquant l’impensable : une confrontation entre Anne Vignot, maire écologiste de Besançon et candidate à sa réélection et Séverine Véziès, co-cheffe de file de La France insoumise pour ces élections municipales bisontines. Pour en arriver là, la soixantaine d’habitants présents partage d’abord ses idées, son ressenti, sa colère. Monter une liste sans étiquette « face à l’irresponsabilité des partis », défendre « un bilan plutôt positif et parler de Besançon pour ce qu’elle est, une ville agréable » ou encore « faire pression face à l’urgence du calendrier ». Un atelier très vite resserré autour de besoin de comprendre cette désunion. Alors que l’on croit ce rassemblement terminé, l’arrivée d’Anne Vignot face à Séverine Veziès transforme l’agora en ring où pendant plus d’une demi-heure, chacune se renvoie la responsabilité de cet échec.
Un rapport de force au centre de la discorde
Première confirmation : cette rupture est bien née d’un « rapport de force » entre insoumis et écologistes. Pour Séverine Véziès (LFI), « la France insoumise est un parti qui compte dans le paysage politique bisontin ». « Anne (Vignot), nous avons toujours été d’accord pour faire l’union derrière toi, tout en s’accordant sur le fait qu’il était de ta responsabilité de créer les conditions de cette union avec un respect des équilibres politiques ». En clair, fort de son poids politique grandissant dans les urnes bisontines, LFI souhaite une place « équitable » au sein de cette union.
Selon nos informations, les négociations ont tourné autour de 14 places au sein du conseil municipal (sur 40) avec l’assurance d’obtenir le poste de premier adjoint. « Ce chiffre était une première approche, pour réaffirmer la ligne et la représentation que cette union devait incarner », précise Séverine Véziès. À cela, s’ajoutait un possible accord national sur de futures élections entre Écologistes et Insoumis, avec la volonté d’avoir un candidat LFI lors des prochaines élections sénatoriales de septembre 2026.
Des demandes jugées « hors sol » par l’équipe d’Anne Vignot « pour un parti qui n’a jamais gouverné alors que nous sortons d’un bilan positif », glisse un écologiste. « Le problème, c’est l’impact national de LFI sur les militants locaux qui pour la majorité, voulaient cette union ». Une dernière analyse partagée par plusieurs conseillers de l’actuelle majorité, issus d’autres partis. Et l’un d’eux d’ajouter : « on était d’accord pour donner le même nombre de sièges à LFI qu’au PS en 2020, c’est-à-dire 11. Ce qui était déjà un gros effort vue leur inexpérience ! ». « L’inexpérience, ce n’est pas un argument », répond Séverine Véziès. « Les Verts voulaient s’assurer de 17 élus avec 3 autres de Génération.s. Les équilibres de 2020 ne sont plus ceux d’aujourd’hui au regard des derniers résultats des urnes. La France insoumise est la seule force politique qui a doublé son score entre les deux élections européennes (8% 2019 et 16% 2024). Nous étions d’accord pour diminuer le nombre de postes, si le reste était cohérent. Malgré cette concession, le reste n’était pas stable ».
Face aux citoyens réunis sous le kiosque de Granvelle, Anne Vignot ne dit pas autre chose. « La France Insoumise a pensé le projet municipal depuis le national, avec des axes structurants comme on peut le voir chez d’autres partis. […] Il n’y avait aucune incohérence entre notre ambition programmatique et les fameuses neuf garanties imposées par LFI. […] Chacun pense les rapports de force en nombre d’élus présents dans une liste. […] LFI veut peser en nombre et parmi nos alliés, tout le monde vient avec cette même envie ».
Quelques minutes plus tôt, Séverine Véziès assurait « qu’il ne s’agit pas de postures ou de place, si je ne suis pas élue, je m’en remettrai très bien. Si je milite, c’est pour défendre un programme, une vision pour la ville de Besançon. Je ne veux pas être juste la caution d’une liste ». Des mots qui se heurtent à l’avis de plusieurs participants. Car si le programme n’a pas été défini dans le détail, faute d’accord préalable, les deux cheffes de file s’accordent sur le fait que leurs priorités restent similaires. Dès lors, « le peuple de gauche s’en fout de savoir si un premier adjoint est écolo’, socialiste ou insoumis. Ce qu’on veut c’est garder la ville de Charles Piaget à gauche avec un programme qui nous ressemble », lance un spectateur de ce duel.
Ni Anne Vignot, ni Séverine Véziès ne veulent céder du terrain
À l’issue de ces échanges, les organisateurs de cette rencontre espèrent toujours : « est-ce qu’une union avant le premier tour est encore possible autour d’un programme commun fort ? ». Anne Vignot acquiesce les bras ouverts : « pour moi oui ! ». Séverine Véziès, cheffe de file LFI s’est positionnée peu avant la question : « ce qu’on veut proposer aujourd’hui, au 8 novembre, c’est l’union au deuxième tour. Nous devons la préparer, nous avons des ennemis communs Anne (Vignot). […] Les électeurs, par leurs votes au premier tour, décideront du rapport de force entre les différents partis de gauche. Dans votre appel citoyen vous appelez à reprendre le pouvoir. En décidant par vos votes au premier tour, vous déterminerez l’alliance du second tour et il y aura une liste de gauche. La sociologie de Besançon ne se résume pas aux personnes présentes aujourd’hui ».
Désormais tout est limpide : chacun partira de son côté. Seul le score au soir du premier tour peut changer la donne. Une liste LFI entre 8 et 10% donnerait l’avantage à l’union d’Anne Vignot. Un score supérieur à 12% voire devant la liste écologiste et la liste LFI serait maîtresse des négociations. Les hypothèses du mois de novembre ne sont toutefois pas la réalité des urnes en mars 2026. Un sondage Ipsos, en cours à Besançon, devrait déjà donner une première tendance concrète dans les prochaines semaines. « Dès lors qu’un programme commun est validé, je ne comprends pas le fait de parler de « rapport de force » pour l’incarner », confie une participante. « Ça sous-entend qu’un citoyen ou une autre étiquette n’aurait pas le même poids ou la même compétence, pour un projet pourtant commun. Le message derrière, c’est que ça ne respire pas la confiance ».
Les cinq citoyens à l’origine de cette parenthèse politique inattendue se disent « satisfaits » de ce premier rendez-vous. « Au-delà de cette confrontation, on a réussi à créer une émulation et donner la parole à quasiment tous les participants et faire entendre notre volonté aux représentants politiques qui ont exprimé leur position clairement », glisse Perrine et Matthias. Une autre rencontre est déjà prévue le samedi 22 novembre avec l’espoir d’attirer encore plus largement pour construire la suite de cet élan citoyen. Au regard des échanges sous le kiosque de Granvelle, une pression populaire massive est peut-être le seul moyen désormais pour faire revenir l’un des deux camps sur ses positions avant le premier tour des élections municipales, en mars prochain.






























