Plusieurs dénonciations et indiscrétions ont mis les enquêteurs de la police aux frontières (PAF) sur la voie d’un important travail dissimulé et de conditions indignes de travail de salariés au restaurant Number Wok, installé depuis 2019 au 4 rue Willy Brandt à Pontarlier. Un vaste établissement, capable d’accueillir jusqu’à 200 couverts et ouvert 7j/7. L’endroit a bonne réputation si l’on en croit les avis laissés sur ses réseaux sociaux. Le propriétaire âgé de 35 ans est d’origine chinoise tout comme sa compagne. Ils gèrent ensemble la société même si cette dernière occupe le statut de salariée avec « un rôle actif dans la direction », précise le procureur de la République Étienne Manteaux.
Un premier contrôle et un constat alarmant
Après un premier contrôle réalisé le 13 février 2024, les officiers de la police aux frontières découvrent que 8 salariés sont « hébergés » dans un grenier « qui n’est pas du tout destiné à loger des personnes. Pas de fenêtre, ni de VMC ou d’évacuation… Les conditions sont dégradées », ajoute le procureur. Tous sont des migrants « en situation de grande vulnérabilité », originaires des Philippines, du Tibet, d’Afghanistan ou encore du Bangladesh. Ils sont nés entre 1989 et 1997. Seulement six d’entre eux sont officiellement déclarés et trois ne disposent pas de titre de séjour en règle. « La boutique une fois fermée, il était impossible pour ces gens de sortir du restaurant. La mère du gérant dormait également sur place et surveillait. Ces gens étaient payés 1500 € par mois, sans charges et sur des amplitudes horaires énormes ».
Un second contrôle aggravant
La préfecture prend un arrêté, courant mars, afin de fermer ce logement au-dessus du restaurant Number Wok. Le parquet s’apprête alors à engager des poursuites contre les dirigeants de l’établissement avant d’être averti par la Police aux frontières qu’un second contrôle est utile, afin de vérifier si l’établissement s’est conformé aux règles. Ce deuxième passage aggrave la situation. « Le 8 avril 2025, le comité opérationnel départemental anti-fraude (CODAF) mobilise des enquêteurs de la police judiciaire, l’inspection du travail et l’URSSAF. Les 8 salariés étaient toujours hébergés dans les mêmes conditions indignes, au mépris de l’arrêté préfectoral », poursuit Étienne Manteaux. Surpris par cette seconde visite surprise, les gérants tentent même de cacher l’un de leurs salariés dans un frigo. « Les enquêteurs ont même trouvé un second logement caché derrière une cloison en placo et plâtre, devant laquelle était entreposée une machine de nettoyage », commente Laurent Perraut, le patron de la Police nationale du Doubs.
Plus de 400 000 € de travail dissimulé
En calculant la masse salariale nécessaire au bon fonctionnement de cet établissement toute l’année (un seul jour de fermeture), les inspecteurs estiment que 141 000 heures de travail sont à déclarer. « Ce restaurant n’en déclarait que 63 000, ce qui a permis de chiffrer la fraude », enchaîne Étienne Manteaux. Le montant de celle-ci dépasse les 400 000 €. Immédiatement, les services du CODAF saisissent une partie du patrimoine du propriétaire et des liquidités, pour un montant total de 208 000 €. « Interrogée, une salariée a expliqué qu’un jour elle avait été malade. Non-déclarée, sans couverture sociale, elle a dû payer 200 € pour la journée de travail qu’elle n’avait pas effectuée », raconte le procureur.

Jugement le 26 septembre 2025
Les deux gérants sont poursuivis pour du travail dissimulé, par dissimulation de salariés et par dissimulation d’activités ainsi que la soumission des salariés à des conditions d’hébergement indignes. Un dernier délit pour lequel les gérants risquent jusqu’à 10 ans d’emprisonnement. Ils seront jugés le 26 septembre 2025. La question d’une requalification pour traite d’êtres humains fut posée. Un crime, plus long à juger et surtout plus contestable. « J’ai considéré que ce délit avec une peine de 10 ans est une qualification adaptée, dès lors que l’on n’établissait pas le fait qu’ils avaient un contrôle en amont sur ces victimes pour les faire venir », justifie Étienne Manteaux. Une partie de l’enquête est toujours en cours pour connaître plus en détails encore les dessous de cette affaire. En attendant, les salariés, considérés comme victimes dans ce dossier, sont pris en charge par les services de l’État. Plus de détails à venir dans notre édition papier du 21 avril.
M.S