Anne-Laure Bonis, médecin généraliste

Les médecins libéraux, généralistes en tête, sont en colère ! Représentante régionale du syndicat majoritaire MG France, Anne-Laure Bonis explique les symptômes tenaces d’un malaise auquel le gouvernement ne semble appliquer que des placébos.

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Pourquoi la colère des médecins généralistes ne retombe-t-elle pas ?

La situation de la médecine générale est et reste extrêmement inquiétante. Alors que les alertes nombreuses formulées par MG France n’ont pas encore été entendues par le gouvernement, au moment où chaque patient constate les difficultés à être pris en charge dans un système de santé organisé, les médecins généralistes savent que sans un mouvement d’ampleur, les investissements nécessaires sur les soins de premier recours seront encore remis à plus tard.

N’est-ce pas une grève corporatiste ?

Si nous manifestons aujourd’hui, il faut bien comprendre que c’est dans l’intérêt des patients donc de toute la population qui est la victime d’une politique que nous dénonçons depuis des mois. Une première grève en février n’a pas été suivie d’effets et d’autres attaques contre la médecine générale ont eu lieu, d’où ce nouveau mouvement avec fermeture de nos cabinets ; pour montrer que les moyens ne sont toujours pas là, pour continuer à soigner la population dans de bonnes conditions, et pour ne pas être découragé d’exercer un métier, un engagement que nous avons toujours rempli.

Le problème est donc financier ?

Comprenons-nous bien : Revaloriser la médecine générale c’est reconnaitre son importance. C’est un très mauvais signal pour la médecine générale, qui va dissuader un peu plus les jeunes médecins de s’engager dans cet exercice, au moment où l’urgence exprimée par l’assurance maladie et le gouvernement consiste à tenter de trouver un médecin traitant pour chaque patient.
La médecine générale est une spécialité depuis près de vingt ans, il est grand temps de la traiter comme toutes les autres.

C’est-à-dire ?

Nous constatons l’aggravation du différentiel de rémunération entre les spécialités médicales. Faute d’accord, il a fallu un règlement arbitral qui entérine une consultation de base du spécialiste en médecine générale à 26,50€ alors que la consultation dite de base des autres spécialités est portée à 31,50€. On est donc à 1,50€ de plus, bien moins que l’inflation… Pour mémoire, le refus de porter la consultation de base du médecin généraliste à 30€ est la raison essentielle de l’absence de signature conventionnelle.

Quel est votre avis sur le doublement des franchises ?

Après avoir inventé successivement le ticket modérateur qui n’a jamais rien modéré mais augmenté le coût de la santé via les complémentaires, la mise en place des franchises avec un grand impact sur les plus malades, au mépris de la santé publique va entrainer un renoncement aux soins, une dégradation de leur santé et donc une augmentation des dépenses. On va vers un système de soins à 2 vitesses, ce que nous dénonçons…La seule solution pour maitriser les dépenses de santé consiste à investir sur les soins primaires, pour un accès égalitaire et solidaire.

La téléconsultation est-elle une solution aux soucis actuels ?

Pour interpréter des examens par exemple oui. Mais pour une véritable consultation et un examen clinique, le virtuel n’est pas adapté. Les plateformes de téléconsultations détournent les médecins de la médecine de famille, car proposent un exercice plus rapide et plus lucratif, sans papiers ni suivi. On va avec un tel système vers une ubérisation de la médecine générale, sans contact humain alors que c’est l’essence même de notre métier, sans prévention et sans suivi puisque les patients n’auront pas toujours le même praticien. En quelques minutes c’est fait… L’Etat laisse fleurir ce genre de dispositifs, qui ne sont pas une solution face à la crise de la profession et aux besoins des patients.

Trop d’arrêts de travail…vous avez vécu cette communication du gouvernement comme une attaque ?

Les médecins l’ont en effet très mal vécu. On nous met sous objectifs et on nous reproche ces arrêts comme s’ils étaient de complaisance. La réalité c’est que la souffrance au travail augmente, que la population vieillit et que nous devons protéger nos patients avec quand c’est nécessaire un arrêt de travail. Nous le reprocher, c’est du management toxique.

La profession est-elle en danger ?

De moins en moins d’étudiants choisissent la médecine générale. Ceux qui prennent leur retraite ne sont pas remplacés. On se plaint ensuite d’avoir des déserts médicaux et des patients sans médecin traitant ou qui doivent attendre des jours pour avoir un rendez-vous. Tout cela est la conséquence du manque d’attractivité du métier que toutes les raisons que nous venons d’évoquer expliquent. Il y a urgence. Il faut des actes concrets, vite et fort !