Le processus de ratification de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur a été enclenché, le 23 septembre 2025. Autrement dit, chaque état membre de l’Union Européenne, « les 27 », doit étudier le texte avant de se prononcer au Conseil de l’Union européenne.
La FNSEA et les JA sur le terrain le 26 septembre
Le temps est donc venu pour les syndicats agricoles de faire pression sur le gouvernement. La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) n’a pas tardé à remonter au créneau. Ses antennes départementales, parfois rejointes par les équipes des Jeunes Agriculteurs (JA) ont multiplié les actions plus ou moins engagées voire tendues, samedi 26 septembre. Dans le Doubs, cette journée a d’abord débuté avec une opération étiquetage au Carrefour d’École-Valentin pour avertir les consommateurs sur l’origine des produits achetés. « On sensibilise le public sur le fait que parmi les produits présents dans nos supermarchés actuellement, certains ne respectent pas les normes nationales au niveau de la manière d’élever les bêtes, du respect de l’environnement ou encore du bien-être animal. À terme, le consommateur aura des choix à faire et des responsabilités », explique Florent Dornier, président de la FDSEA du Doubs.
Pendant près d’une heure, les manifestants sont allés à la recherche de produits transformés à l’aide d’insecticides et acétamipride interdits pour l’agriculture française. Le mouvement s’est ensuite dirigé dans le calme au cœur du centre-ville bisontin, place du 8 septembre, pour une dégustation de viande française et un moment d’échanges avec le public. « Au niveau local, ce sont surtout les producteurs de viandes allaitantes qui risquent de perdre beaucoup. Les tonnages autorisés par ce traité sont importants. La filière bovine française fait partie de celles qui ont le plus souffert sur les quinze dernières années. On a perdu beaucoup d’agriculteurs qui ont jeté l’éponge. Pour les restants et en particulier les jeunes, ce traité est un coup de poignard dans le dos », poursuit Florent Dornier.
« Négocier, c’est renoncer à se battre »
Si l’opposition totale à ce traité de libre-échange a d’abord été partagée par l’ensemble de la profession, le message actuel de cette fronde collective est toutefois différent selon les syndicats. Ce qui explique, en partie, l’absence de mouvement collectif du monde agricole français. Pour la FNSEA, l’heure est à la pression sur l’État français pour « imposer des règles strictes d’application de ce traité afin de protéger notre agriculture et éviter d’être inondé de produits qui ne respectent pas nos normes, en utilisant notamment des clauses miroir », explique Florent Dornier.
Là où la Confédération Paysanne maintient son refus catégorique pour un tel traité « signé pour sauver le secteur automobile au détriment du secteur agricole », résume Laurence Lyonnais, co-porte-parole du syndicat dans le Doubs et le Territoire de Belfort. « Il n’y a rien à négocier. Prendre des produits agricoles, leur faire faire le tour de la planète, sans parler du bilan carbone ou des conditions de travail dans les exploitations agricoles en Amérique du Sud, c’est une aberration. Négocier c’est renoncer à se battre ».
La Confédération Paysanne à Paris le 14 octobre
Réunis aux côtés d’autres syndicats agricoles européens à Bruxelles au début du mois, la Confédération Paysanne rassemble ses troupes le 14 octobre à Paris pour réaffirmer ses positions et sera accompagnée d’organisations citoyennes, syndicats de travailleurs et signataires de la pétition contre la Loi Duplomb. C’est un autre point de discorde entre la Confédération et le syndicat majoritaire agricole français. « On ne peut pas vouloir enlever des normes qui nous rendent soi-disant moins compétitifs et s’opposer au Mercosur qui est inscrit dans ses accords de compétitivité, c’est incohérent. Négocier, ça veut dire quoi ? Aligner les salaires sud-américains aux salaires français ou autoriser les antibiotiques activateurs de croissance sur les bovins en France comme c’est déjà là-bas ? C’était ça l’esprit de la loi Duplomb », poursuit Laurence Lyonnais, rejointe par les Écologistes et la députée de la 2nd circonscription du Doubs, Dominique Voynet. « Nos agriculteurs méritent des règles justes et cohérentes. Ils méritent aussi que leurs syndicats ne les entraînent pas dans des contradictions dommageables ».
Soutien unanime du monde politique
Lundi 29 septembre, le Conseil départemental du Doubs tenait sa séance de rentrée. Les propos liminaires ont très vite tourné en soutien marqué aux agriculteurs. Face à la colère du monde agricole, Christine Bouquin a apporté le soutien du département « Nos agriculteurs subissent des incohérences insupportables…On exige l’excellence de nos producteurs mais on accepte la médiocrité venue d’ailleurs. Cela n’est pas acceptable… Il faut cesser de fragiliser notre modèle agricole par des distorsions de concurrence qui le condamnent à petit feu ». Répondant à Magali Duvernois, conseillère d’opposition qui proposait de marquer ce soutien unanime aux agriculteurs de manière officielle par une motion d’opposition au Mercosur, Christine Bouquin ajoute : « si l’échelon départemental n’a pas la main sur les accords commerciaux internationaux, il a un devoir d’être aux côtés des agriculteurs. C’est le sens de la motion présentée par l’Association des Départements de France (ADF) ». La ministre de l’Agriculture démissionnaire Annie Genevard, dont la rentrée politique s’est davantage orientée vers la féminisation de la filière, s’est toujours dit opposée à un tel traité.
La France doit désormais matérialiser son opposition réelle et surtout convaincre une majorité de voisins : la ratification du pilier commercial de l’accord ne nécessite pas l’unanimité des États mais une simple majorité qualifiée au Conseil européen, soit 55% des États (soit 15 États sur 27) représentant 65% de la population européenne.
M.S
L’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur, en bref :
Le Mercosur est un espace de libre circulation des biens et des services entre l’Union européenne et quatre pays d’Amérique du Sud : l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay. Né en 1991, il représente aujourd’hui plus de 80% du PIB sud-américain. Pour ses défenseurs, il s’agit là d’un nouveau marché de 270 millions d’habitants. À l’inverse, l’UE représente 450 millions de consommateurs. L’objectif du traité avec le Mercosur est d’intensifier les échanges de biens et de services entre les deux parties en diminuant notamment de plus de 90% les droits de douane imposés par le Mercosur sur les produits européens, et inversement. À l’heure actuelle des droits de douane de 27 % sur le vin et de 35 % sur les voitures et les vêtements importés depuis l’UE sont par exemple appliqués. Concernant l’agriculture, l’accord actuel prévoit, à terme, d’introduire 99 000 tonnes de bœuf par an, 60 000 tonnes de riz ou encore 45 000 tonnes de miel sans obstacles tarifaires ou à taux préférentiels. À l’inverse, les droits de douane du Mercosur seraient éliminés sur les voitures, les machines, la chimie, les vêtements, le vin, les fruits frais ou encore le chocolat, venus d’Europe. Problème, les produits agricoles importés d’Amérique du Sud ne sont pas soumis aux mêmes règles sanitaires et environnementales que les acteurs français. Depuis 2022, l’État français a fait savoir sa volonté d’imposer « des clauses miroir » pour les produits importés.