Doubs. De nombreux parlementaires montent au créneau contre la réforme électorale dans les communes rurales

Dans le Doubs, le sénateur Jean-François Longeot (Union Centriste) et le député Laurent Croizier (Modem) ne décolèrent pas devant "un passage en force" d’une loi votée début avril avec 4 voix de majorité. Alors que de nombreuses petites communes rurales rencontrent des difficultés pour constituer les listes, cette loi est "un scandale intellectuel et anticonstitutionnel" selon le sénateur Longeot.

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Laurent Croizier

Que dit la loi

« Elle vise à harmoniser le mode de scrutin aux élections municipales afin de garantie la vitalité démocratique, la cohésion municipale et la parité ».

Tous les conseils municipaux, quel que soit le nombre d’habitants, seront élus au scrutin de liste paritaire homme/femme.

La loi introduit la possibilité de déposer des listes incomplètes, avec un seuil minimal et d’ajouter deux candidats supplémentaires sur les listes pour favoriser la stabilité des conseils municipaux. Elle prévoit également la mise en place d’élections complémentaires dans les communes de moins de 1 000 habitants, en cas de perte d’au moins un tiers de l’effectif du conseil ou s’il compte moins de 5 membres…pour éviter les élections partielles intégrales.

« La parité ne doit pas s’arrêter aux portes des grandes villes »

Delphine Lingemann, député Modem du Puy-de-Dôme et rapporteure de la proposition de loi, est fière de porter ce texte de parité. Aujourd’hui, les femmes ne représentent que 37,6% des conseillers municipaux dans les communes de moins de 1 000 habitants (contre 48,5% dans celles de plus de 1 000 habitants).

Laurent Croizier, député de la 1ere circonscription, du Doubs-photo DR

« Je n’ai pas voté cette proposition de loi » fulmine quant à lui Laurent Croizier, appartenant pourtant au même groupe que la rapporteure du texte. Le député de la 1ère circonscription du Doubs « croit en la parité et se mobilise pour qu’elle devienne une réalité. Pourtant, je ne pense pas que cette loi garantisse la vitalité démocratique. Je crains même l’inverse ».

Député de terrain, proche de son territoire, Laurent Croizier a consulté les maires de sa circonscription « Ils sont contre le scrutin de liste dans les communes de moins de 1 000 habitants. Ils me disent combien il est difficile de trouver des candidats et des candidates pour constituer une équipe souvent incomplète ».

Au-delà de la parité, Laurent Croizier pointe l’impossibilité du panachage, particularité des petites communes. « Je crains que ces difficultés nuisent à la capacité des électeurs d’exprimer un choix et se détournent de l’élection…Imposer un modèle unique aux communes quelles que soient leur taille ne tient pas compte des réalités du terrain ».

Dans certains cas, rares au demeurant, des conseillères municipales pourraient être obligées de ne pas se représenter pour laisser la place à un homme pour assurer la parité !

Très en colère contre le texte, Jean-François Longeot saisit le conseil constitutionnel

Le sénateur et ancien maire d’Ornans ne décolère pas. Celui qui est président de la commission de l’aménagement du territoire à la Chambre Haute, connaît parfaitement le tissu des territoires ruraux.

A chacun de ses déplacements sur le territoire national, il est sollicité par les maires « qui me demandaient de faire quelque chose ».

La saisine des sénateurs est constitutionnelle et, en outre, transpartisane

5 sénateurs ont saisi le conseil constitutionnel, représentant plus des 60 parlementaires nécessaires à cette saisine. En Franche-Comté, Sylvie Vermeillet sénatrice du Jura, Clément Pernot sénateur du Jura,  Annick Jacquemet, sénatrice du Doubs ou Cédric Perrin sénateur du Territoire de Belfort ont signé la saisine.

Parmi les signataires de tête, outre Jean-François Longeot (Union Centriste), on note Mathieu Darnaud (Président du groupe les Républicains au Sénat), Cécile Cukiermann (Présidente du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste), Dominique Estrosi-Sassone (Présidente de la commission des affaires économiques du Sénat).

Une saisine de 31 pages très argumentée en fait et en droit

Jean-François Longeot souligne « l’inconstitutionnalité de la loi adoptée dans des circonstances irrégulières ».

Parmi les nombreuses irrégularités de fond et de forme, la saisine note l’absence de clarté et de sincérité des débats parlementaires résultant de l’adoption de la loi organique, d’autant plus que celle-ci a été votée en 1ère lecture au Sénat par 164 suffrages pour l’adoption et 160 suffrages contre. La loi déférée méconnaît par ailleurs l’article 3 du protocole n°1 de la Convention européenne des droits de l’homme, imposant une stabilité des règles électorales qui ne doivent pas être modifiées tardivement, subitement ou de manière pas assez claire avant la tenue d’opérations électorales. En conséquence, la saisine demande au conseil constitutionnel une réserve d’interprétation selon laquelle la loi ne pourrait entrer en vigueur qu’aux opérations électorales se tenant au moins un an après la publication au JO.

Un but détourné

La volonté réelle du législateur ne se limite pas à une simple mise en œuvre du principe constitutionnel de parité. La loi induit, à moins d’un an d’un processus électoral complexe, une  perturbation majeure à raison des difficultés politiques propres au monde rural.

La loi déférée ferait ainsi obstacle au bon fonctionnement de la démocratie locale

Au-delà des autres arguments juridiques mis en avant dans la saisine du conseil constitutionnel, Jean-François Longeot note » l’absence de l’obligation constitutionnelle de réalisation d’une étude d’impact et de consultation préalable du Conseil d’État ».

En conclusion, le sénateur du Doubs dont on connaît le parler cash d’homme de terrain, demande au conseil constitutionnel la censure de tout le texte. Il souligne enfin « je suis favorable à agir pour la parité inscrite dans la constitution. Nous devons prendre en compte la spécificité des communes rurales, tant du point de vue de la parité ou des règles contraignantes de listes bloquées ».

Yves Quemeneur