Doubs. Affaire Péchier : l’enquête est terminée

Après 7 ans et 4 mois d’enquête, le parquet de Besançon a déposé son réquisitoire final au magistrat instructeur. 534 pages au cours desquelles le procureur étaie les multiples faits reprochés au médecin anesthésiste-réanimateur Frédéric Péchier, soupçonné d’avoir empoisonné 30 patients, dont 12 mortellement.

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Plus de sept années se sont écoulées depuis le premier signalement à la justice d’un événement indésirable grave (EIG), suspecté d’être un empoisonnement volontaire survenu à la Clinique Saint-Vincent, le 11 janvier 2017. Un premier cas suivi d’un second le 20 janvier. Ce second patient pris en charge par le médecin anesthésiste-réanimateur Frédéric Péchier est victime d’un arrêt cardiaque inexpliqué. C’est la première intervention de la journée. Cette fois les enquêteurs ont le temps de figer la salle d’opération et saisir tout le matériel ayant servi à l’anesthésie du patient. Les prélèvements démontrent une pollution de la poche de paracétamol à la mépivacaïne, produit qui, en cas de surdosage, peut entraîner un arrêt cardiaque. Des traces de cette même substance sont retrouvées sur des seringues utilisées pendant l’intervention, où Frédéric Péchier est accompagné d’une infirmière stagiaire. « C’est presque du flagrant délit », commente le procureur de la République, Étienne Manteaux.

77 EIG signalés au départ, 30 empoisonnements présumés retenus

Cet événement troublant corrélé aux multiples témoignages de collègues et confrères du médecin font rapidement de lui le principal suspect. Le point de départ d’une immense enquête qui porte rapidement le nom de « l’affaire Péchier ». Pendant sept années donc, les enquêteurs ont retracé le parcours du médecin à la recherche d’autres événements indésirables graves susceptibles d’être des empoisonnements. 77 EIG entre 2008 et 2017 ont été signalés dans un premier temps, avant des investigations plus approfondies. Les magistrats sont finalement saisis de 43 empoisonnements présumés au fil de l’enquête, avant d’annoncer la mise en examen du médecin pour 30 cas puis 2 autres sous le statut de témoin assisté, aujourd’hui retirés du réquisitoire.

Ce jeudi 23 mai, Étienne Manteaux a étayé  les faits récoltés dans un réquisitoire final de 534 pages, demandant le renvoi de Frédéric Péchier devant la cour d’assise du Doubs pour l’empoisonnement présumé de 30 patients dont12 ayant entraîné le décès de la personne.

27 000 cotes

Ces EIG sont principalement liés à des arrêts cardiaques survenus au cours d’anesthésies. Les dossiers médicaux de tous les cas ont été saisis et confiés à un premier collège d’experts, médecins légistes, toxicologues, anesthésistes et cardiologues, puis à deux autres, à la demande de contre-expertises qui chacune auront pris deux ans en moyenne. « Au final, le dossier compte 27 000 cotes, c’est-à-dire 27 000 feuillets que le parquet de Besançon vient de synthétiser. », insiste Étienne Manteaux.

Série d’arrêts cardiaques inexpliqués

Les premiers EIG susceptibles d’être des empoisonnements provoqués par le docteur Frédéric Péchier selon le parquet, surviennent en octobre 2008. Deux arrêts cardiaques inexpliqués, les 10 et 14 octobre à la Clinique Saint-Vincent, sur des patients dont l’anesthésie est gérée par des confrères du médecin. Aucun autre EIG ne survient dans cet établissement pendant le premier semestre 2009. Dans le même temps, Frédéric Péchier quitte l’établissement pour la Polyclinique de Franche-Comté (PFC) où des conflits naissent rapidement avec d’autres collègues. « Le 7 avril et le 27 avril 2009, deux patients de l’anesthésiste le plus ouvertement en conflit avec lui subissent un arrêt cardiaque. »

Un troisième EIG survient le 22 juin 2009, dix jours pourtant après le départ du docteur Péchier qui retourne à la Clinique Saint-Vincent. « Il est établit que la poche de perfusion empoisonnée pour cette opération a été sortie avant le 12 juin, date du départ du mis en examen. Un médecin légiste a prouvé que les poches peuvent être polluées à l’avance sans aucune trace décelable. Il n’y aura plus aucun arrêt cardiaque inexpliqué à la PFC après ce mois de juin. Dès le retour de Frédéric Péchier à la Clinique Saint-Vincent, de nouveaux événements graves indésirables sont constatés à compter de septembre 2009 (les 08/09 et 25/09, ndlr), touchant des patients de médecins anesthésistes hostiles à son retour », poursuit le procureur.

Jusqu’en janvier 2017, la clinique subit au moins un arrêt cardiaque inexpliqué par an, avec une accélération en 2016, où 7 cas d’empoisonnements présumés sont constatés. En mars 2017, Frédéric Péchier est mis en examen avec une interdiction de pratiquer une anesthésie. Plus aucun arrêt cardiaque inexpliqué lors d’une anesthésie n’a été constaté à la Clinique Saint-Vincent.

Une fréquence de décès six fois supérieure à la normale

Dans son réquisitoire, le parquet s’appuie sur l’anormale fréquence de ces EIG. Selon plusieurs experts penchés sur le dossier, la moyenne des EIG provoqués par un arrêt cardiaque lié à l’anesthésie d’un patient et suivi d’un décès, est au niveau national d’un cas pour 100 000 anesthésies. À la Clinique Sant-Vincent durant 8 ans, 27 empoisonnements présumés ont été identifiés dont 12 mortels pour 172 000 anesthésies. « En se basant sur les moyennes nationales, nous devrions constater moins de deux morts suite à une anesthésie sur cette période au lieu de 12. », argumente Étienne Manteaux.

Entre 2008 et 2017, sur les deux établissements touchés les enquêteurs ont recensé 1514 personnes susceptibles d’avoir eu accès aux salles d’opérations. « Frédéric Péchier est la seule personne présente dans les établissements au moment des 30 empoisonnements présumés, à l’exception de celui du 22 juin 2009. »Pour les 30 arrêts cardiaques et/ou hémorragies retenus, des traces de potassium, mépivacaïne, lidocaïne, adrénaline, héparine ont été retrouvées.

Interrogé, le médecin a reconnu qu’un seul cas pouvait être lié à un empoisonnement, celui de son patient, le 20 janvier 2017, commis selon lui par l’un de ses confrères avec qui il serait en conflit. La justice elle de son côté, estime que le docteur Péchier, au courant d’une enquête lancée quelques jours plus tôt, provoque un arrêt cardiaque chez son patient pour faire partie des anesthésistes touchés par cette macabre série. Un « EIG alibi » qui diffère des autres, par sa méthode.  Pour les 29 cas restants, selon Frédéric Péchier, il s’agirait d’erreurs médicales de ses confrères commises par « négligence » ou « incompétence ». « Ça n’a pas toujours été son positionnement. », précise le procureur Étienne Manteaux. « Lors d’interrogatoires ou échanges téléphoniques alors qu’il était sur écoute, il a évoqué que certains faits ne pouvaient être que des actes de malveillance. »

Nombre de ces EIG ont généré des revues de mortalité et morbidité (RMM). Une analyse clinique où plusieurs professionnels tentent de comprendre les raisons du décès d’un patient. Tous les collègues du docteur Pechier participaient, sauf lui. « Sa parole était pourtant essentielle lors de ces revues pour faire progresser ses collègues mais aussi parce que c’est lui qui identifiait souvent les causes de l’arrêt cardiaque en se montrant très efficient. Interrogé sur ce point, le mis en examen a justifié son absence par une charge de travail trop lourde. »

Les enquêteurs ont démontré lors des différentes perquisitions que le médecin prélevait en toute illégalité des produits anesthésiques, poches d’hydratation ou encore produits morphiniques à la Clinique. Il s’est justifié en expliquant vouloir soigner sa fille. Adoubé par certains de ses collègues, considéré comme un « magouilleur de première » par d’autres, l’anesthésiste-réanimateur Frédéric Péchier doit attendre encore au minimum trois semaines pour connaître la décision du magistrat instructeur. Ce dernier a la possibilité d’ordonner une mise en accusation totale, partielle ou un non-lieu. Entre-temps les avocats de la défense et des parties civiles peuvent déposer des observations. La date d’un éventuel procès devrait être connue cet été.

M.S