Guerre israélo-palestinienne : notre journaliste menacé par une lettre anonyme

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Édito. Prenez-en note

J’ai habituellement du mal à utiliser la première personne du singulier pour mes éditos. Les règles journalistiques apprises au cours de ma formation le déconseillent et je suis mal à l’aise à l’idée de m’approprier une information. Aussi personnelles soient mes prises de position, je m’applique à construire chaque édito sur des éléments factuels. Cette semaine pourtant, je dois m’adresser à vous. J’ai été menacé de « représailles » dans le cadre de mon travail, pour un texte que vous avez probablement lu. Le 16 septembre, j’ai ouvert une lettre anonyme, rédigée à la main et non timbrée, sur laquelle il était écrit à l’encre bleue : « À l’intention de Monsieur Martin Saussard journaliste pro palestiniens » (sic). J’ai machinalement ouvert ce courrier sans mesurer ce qu’il pouvait contenir. À l’intérieur, l’auteur(e) me « suggère » de ne plus « insulter notre guide Benyamin Netanyahou » (sic), cette dernière phrase étant soulignée en rouge. Assurant que les journalistes à Gaza « ne sont que des tueurs et violeurs sous couvert de brassard de journalistes »(sic), l’auteur(e) emploie ensuite le pronom « on », comme s’il ou elle n’était plus seul(e). « Ceci est le 1er et dernier avertissement, on sait ou se trouve votre domicile et somme au courant de vos activité loisirs etcetera… » (sic) avant de changer de couleur d’encre pour passer au rouge : « Prenez en note ». J’ai d’abord été stupéfait de lire une telle menace. En remontant le fil de mes articles, j’ai immédiatement fait le lien avec mon édito daté du 25 juillet 2025, où j’apportais mon soutien aux journalistes palestiniens et correspondants de l’Agence France Presse (AFP). L’AFP dénonçait dans un communiqué publié quelques jours plus tôt le risque de voir ses collaborateurs « mourir de faim ». Parmi eux, certains ont mon âge. J’en ai rapidement conclu, que pour m’être indigné de cette situation et de l’absence de réaction unanime du monde médiatique français, quelqu’un a jugé normal de me répondre par la menace et la contrainte. La temporalité de cette lettre est aussi troublante : elle a été déposée à notre agence en pleine polémique autour de la venue de Raphaël Enthoven à Besançon, qui avait tenu des propos sur les journalistes à Gaza repris à peu de choses près dans cette lettre anonyme. Raphaël Enthoven est finalement venu au Festival Livres dans la Boucle et a regretté ses propos. Je n’ai jamais reçu d’autre lettre. Si je n’ai plus écrit sur la guerre israélo-palestinienne depuis le 25 juillet 2025, ce n’est pas uniquement par peur de réelles « représailles ». La rédaction est partie en vacances, l’actualité locale et nationale m’ont donné l’occasion d’écrire sur d’autres sujets et surtout, je ne voulais pas vous en informer tout de suite. Une plainte a été déposée et une enquête est en cours. Pour autant, je ne pouvais pas reparler de ce sujet sans évoquer ces menaces. Avec cet édito, je voulais simplement vous avertir qu’un journaliste local prenant parfois la peine de traiter des informations internationales peut s’exposer à de telles menaces, même en étant dans le Doubs, même en 2025. Je ne pensais jamais invoquer la liberté de la presse et la liberté d’expression, pas plus qu’être menacé pour avoir usé de celles-ci. Espérons que le cessez-le-feu débouche sur une paix durable, permette à chacun de se reconstruire au Proche-Orient et apaise les esprits chez nous.

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