
Hasard du calendrier ou non, la Préfecture du Doubs présentait son Plan d’action départemental de restauration de la sécurité du quotidien (PADRSQ) quelques jours seulement après la diffusion d’une statistique aussi ambivalente qu’incomprise. Besançon affiche un taux de 2,96 mis en cause pour trafic de stupéfiants pour 1000 habitants, en 2023. Ce qui fait de la cité comtoise la 3e ville au classement des communes de plus de 100 000 habitants. En valeur absolue, le nombre de mis en cause est de 353.
L’incompréhension politique pousse les autorités à réagir
Un classement dressé par le quotidien Ouest France le 15 février dernier, sur la base des données relevées par le ministère de l’Intérieur. Pour les services de l’État dans le Doubs, cette statistique traduit « l’action des forces de l’ordre », commente le préfet Rémi Bastille. « Il faut lire cette statistique avec une forme de prudence. Tout le monde sait que dans le Doubs, l’effort est important dans le combat contre le trafic de stupéfiants. On constate que la situation a pu s’améliorer depuis plusieurs années. Mécaniquement, on augmente le nombre de mis en cause ».
Tour à tour pendant une semaine, différentes figures des services de l’État ont pris la parole, poussés par une réaction politique incohérente, érigeant cette statistique en point noir pour la ville. D’abord ce vendredi 21 février, où le préfet était accompagné de Laurent Perraut, directeur interdépartemental de la police nationale (DIPN) dans le Doubs et le colonel Lionel James à la tête du groupement de gendarmerie du département. « Je comprends avec ce chiffre que le Doubs est déjà en pointe contre le narcotrafic. Il faut maintenir cette action forte, la tranquillité est revenue dans certains quartiers bisontins », commente le premier.
« Une détermination maintenue en 2025 »
Mercredi 26 février, ce fut au tour d’Étienne Manteaux, procureur de la République du tribunal de Besançon : « une lecture un peu rapide laisse penser qu’à Besançon, il y a des trafics extrêmement denses et beaucoup plus importants que dans des métropoles voisines. […] à Besançon il y a une politique pénale et un dynamisme des services d’enquêtes dans la lutte contre le trafic ». Loin d’un « échec », évoqué par certains élus locaux, donc. « Cette détermination est maintenue en 2025 », affirme Étienne Manteaux, s’appuyant sur quatre récentes affaires entre le 18 et le 24 février à Besançon et dans l’agglomération pour démontrer « la pugnacité et l’efficacité des services ».

Rue des Montboucons d’abord avec un réseau type « Ubershit » (livraison de stupéfiants, ndlr). Au domicile de l’individu interpellé, les enquêteurs bisontins retrouvent 310g d’héroïne, 175g de résine de cannabis, 36g de cocaïne et 6665 €. Une saisie dont la valeur globale est évaluée à 17 600 €. Le même jour rue Fabre, la police de Besançon interpelle un « ravitailleur » venu dépannés des revendeurs, « deux personnes vivant en Haute-Saône, insérée dans la vie et qui pour arrondir leurs fins de mois, faisaient des livraisons », précise le procureur. À son domicile, 11 305 €, 1,2kg de résine de cannabis, 120g d’héroïne, 70g de cocaïne, 386 pilules d’ecstasy, pistolet calibre 7.65 mm. Une saisie estimée à 30 695 €.
Deux jours plus tard, le 20 février, rue de Vesoul, une troisième saisie est encore plus conséquente : 8,4kg de résine de cannabis, 3,3 kg d’herbe de cannabis, 1,3kg de cocaïne, 408 pilules d’ecstasy, 870 € en liquide, pour un montant de près de 172 650 €. Enfin, la quatrième affaire menée par la gendarmerie est une perquisition au domicile d’un trafiquant présumé, situé sur l’agglomération bisontine. Elle permet de mettre la main sur 13 000 € en liquide, 13 kilos de résine de cannabis, 7,8 kg d’héroïne, 2,4 kg de kétamine, 175g de cocaïne, 1,5kg de produits de coupe, un colt 145 avec une centaine de munitions de 11-43. La valeur totale serait de 329 000 €. « Cela démontre aussi la très grande disponibilité des produits stupéfiants. Je ne pense pas que ce soit propre à Besançon. »
Changement de comportement des trafiquants
Une disponibilité accrue notamment par le changement de comportement des trafiquants. Moins de points deals « classiques » dans les grandes villes, notamment grâce à l’intense travail de démantèlement initié à Besançon ces dernières années, mais une plus grande « dispersion » du trafic et une accumulation de lieux pour stocker les stupéfiants, au profit de livraisons directement chez les consommateurs. Un constat partagé par Rémi Bastille, Laurent Perraut et Lionel James qui établissent aussi une corrélation entre ce nouveau mode de fonctionnement et l’évolution des stupéfiants consommés. « Nos stratégies d’enquête restent adaptées même si aujourd’hui, une grande partie du trafic passe par Internet et les messageries cryptées. Un large éventail de produits stupéfiants est disponible sur celles-ci. Des personnes sont aussi recrutées sur les réseaux sociaux pour conserver ou transporter des stupéfiants afin d’arrondir leurs fins de mois. On a cette abolition des sens moraux assez importante », analyse le patron de la DIPN. « Le groupe local du traitement de la délinquance, initialement centré sur le quartier de Planoise a été élargi au Grand Besançon. », poursuit Rémi Bastille.
La traque des vendeurs et des consommateurs
Une pression qui devrait donc s’accentuer avec ce fameux PADRSQ. Né d’une circulaire rédigée par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau en décembre 2024, dans le Doubs ce plan se traduit par 7 axes prioritaires pour la Gendarmerie et la Police. Avec en tête donc, la lutte contre le trafic de stupéfiants et l’économie souterraine. S’appuyant sur les différentes actions menées par le passé comme les opérations Place Nette et les « résultats importants » qui en découlent, Laurent Perraut et Lionel James ont détaillé les changements à venir pour leurs services. Avec 692 policiers nationaux dans le Doubs, la présence sur le terrain va s’accentuer tout comme les infiltrations sur Internet et les réseaux sociaux. La collaboration de la messagerie Telegram, accentuée depuis l’arrestation de son patron Pavel Durov en France fin août 2024, porte ses fruits. Côté gendarmerie, qui couvre 97% du territoire départemental, cette lutte est structurée autour des axes routiers centraux, A36 et RN57 en tête, puis le long de la bande frontalière. « Les délinquants sont fixés autour de ces zones. Nous allons augmenter notre présence sur les voies publiques près des « points chauds » pour contrôler les potentiels consommateurs », confie le colonel Lionel James.
Une intensification y compris en zone police, sur la route, dans les transports, à l’aide de tests pour dépister. Enfin, le renforcement des enquêtes patrimoniales. Le train de vie des trafiquants correspond rarement aux revenus déclarés. « L’argent est aussi souvent réinvesti pour être blanchi. Nous allons saisir toujours plus de biens mal acquis et mettre en évidence des stratégies de blanchiment », ajoute le directeur de la Police Laurent Perraut. En décembre 2024, à l’aide du comité opérationnel départemental anti-fraude (Codaf), des mis en cause dans deux affaires de trafic de stupéfiants avaient vu leurs biens saisis. Derrière la lutte contre le trafic de stupéfiants et l’endiguement de l’économie souterraine, la lutte contre les violences intrafamiliales et les violences faites aux femmes est la seconde priorité des autorités dans le Doubs. On retrouve ensuite la lutte contre les cambriolages et plus globalement contre la délinquance d’appropriation, le contrôle des flux et du territoire dans la profondeur, la lutte contre la violence faites aux élus, la lutte contre les atteintes à l’environnement et enfin la lutte contre les rodéos urbains. Ces différentes priorités feront l’objet d’autres articles.
M.S