Louis Trincano, seul élève à avoir accédé au poste de direction de l’école

La salle Labbé du lycée Jules Haag, appelé encore aujourd’hui « l’horlo », a accueilli une quarantaine de personnes – jauge covid oblige – venue découvrir l’histoire de cet homme qui a tant œuvré pour le rayonnement de l’école et la renommée de Besançon. Pierre Taillard, devenu professeur d’horlogerie, inventeur de l’horloge à l’envers, écrivain, élève de Monsieur Trincano en 1943 et Claude Briselance, historien, sont venus partager leur témoignage et leur connaissance de cette période particulière.

Réalisé en 2016 par des élèves de première et terminale guidés par Anne lescalier et Virginie Vinet, le documentaire s’appuie sur les archives de l’Ecole d’Horlogerie et les témoignages d’anciens élèves. Il retrace le parcours de ce directeur d’exception et plus particulièrement durant la période d’occupation par les Allemands pendant la seconde guerre mondiale.

Intégrer les femmes dans la branche horlogère

« Précurseur, Louis Trincano a envoyé un questionnaire aux industriels du bassin bisontin pour connaître leurs besoins et leurs spécificités » explique Claude Briselance « il voulait former les élèves sur les emplois nécessaires ».Ce directeur, le seul élève à avoir accédé au poste de direction de l’école, a fait entrer les jeunes filles dans la branche horlogère. Il a créé l’école d’ingénieurs de chronométrie ainsi que la micromécanique. L’école a également abrité pendant 2 ans le CETEHOR (Centre Technique de l’HORlogerie) avant d’être externalisé.

« En 1932, le Président LEBRUN, venu inauguré les nouveaux locaux de l’école d’horlogerie, qui se situait place de la Révolution, dira que c’était alors la plus belle école technique de France » continue l’historien « Tous les élèves passés par l’école sont sortis ouvriers spécialisés ou ingénieurs. Leur savoir-faire était très recherché et tous les directeurs des entreprises de pointe de l’époque ont étudié dans cette belle école »

Louis Trincano s’est dévoué corps et âme pour son école au point d’acheter avec son propre argent les terrains autour en prévision d’agrandissements futurs. Les bâtiments construits correspondent à l’internat actuel.

La seconde guerre mondiale a détruit sa vie

La seconde guerre mondiale a modifié le parcours exceptionnel de cet homme méconnu. Pierre Taillard se souvient : « c’était les privations, on avait faim et froid, mais l’école n’a jamais fermé. Même pendant son occupation par les Allemands. Je me souviens de deux camarades qui portaient l’étoile jaune. Un jour, on ne les a plus vus. A 14 ans, j’ai été interrogé par la Gestapo »

Le STO étant obligatoire, Louis Trincano n’a pas eu le choix : 12 élèves sont partis travailler en Allemagne, mais les 12 sont revenus. Le directeur a écrit régulièrement à tous ces jeunes pour garder le contact avec eux. Il a également préservé son école dans laquelle les cours ont toujours été dispensés et il a fait en sorte de que les machines ne partent pas en Allemagne.

Après la libération, le mot collaboration a commencé à circuler à son propos. Jalousie ? Règlement de compte ? A son procès, de grands noms prendront sa défense. Mais le discrédit est là. Il meurt le 18 juin 1945 après avoir été condamné à « l’indignité à vie » comme le rappelle Joseph Pinard, ancien député du Doubs    

Certains Bisontins demandent une réhabilitation

Combien de Bisontins connaissent Louis Trincano ? Et pourtant : cet ancien directeur a modifié le paysage industriel de la ville. « Le seul endroit dans la ville où on peut voir son nom, c’est dans la cour du lycée Jules Haag sur la plaque où sont gravés tous les noms des directeurs de cette école » rappelle Claude Briselance. Pour Laurent Cagne, le proviseur actuel, « Le poids de cette histoire est très ressenti encore aujourd’hui ».

A l’automne 2022, l’Ecole Nationale d’Horlogerie fêtera ses 160 ans et le lycée Jules Haag ses 90 ans.

Une belle occasion de rendre hommage à un homme hors du commun qui a consacré sa vie à cette école si particulière. Des voix s’élèvent pour sa réhabilitation et la reconnaissance de son travail. Ils demandent une rue, une place, un square portant son nom. « Il n’a pas de chance, en ce moment on débaptise des rues pour leur donner des noms féminins » a fait remarquer Claude Briselance. Mais, les exceptions existent toujours, n’est-ce-pas ?