Besançon. Comment sortir du piège du narcotrafic ?

À l’invitation de Patrick Ayache, maire de Pirey et en présence d’Anne Vignot, maire de Besançon, Jérôme Durain, sénateur socialiste de Saône-et-Loire et président de la commission d’enquête sénatoriale sur l’impact du fléau de la drogue en France, a présenté le 30 septembre au petit Kursaal les principaux éléments du rapport.

368
Anne Vignot Maire de Besançon, Jérôme Durain Sénateur de Saône-et-Loire et Président de la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic et Patrick Ayache Maire de Pirey et initiateur de la conférence du 30 septembre au Petit Kursaal ©YQ
6 mois de travail, 600 pages et 150 auditions

Le rapport de la commission d’enquête a été rédigé et validé conjointement par Jérôme Durain (Parti Socialiste) et Etienne Blanc (Les Républicains). Le sénateur de Saône-et-Loire a souligné le travail transpartisan.

La France submergée par le narcotrafic

Les auditions menées par la commission d’enquête sénatoriale avaient suscité une polémique en avril dernier avec Eric Dupont-Moretti. Le Garde des Sceaux avait reproché à des magistrats marseillais des propos alarmants sur la lutte contre le narcotrafic. En particulier, la juge Isabelle Couderc, vice-présidente du Tribunal Judiciaire de Marseille en charge à la Juridiction Interrégionale spécialisée (JIRS) de la lutte contre la criminalité organisée, avait notamment indiqué devant les sénateurs « Je crains que nous soyons en train de perdre la guerre contre les trafiquants à Marseille ». Jérôme Durain ne craint pas de parler de « submersion » pour décrire le phénomène auquel la France est confrontée. Le rapport met en avant le fait qu’avec « l’explosion simultanée de l’offre et de la demande, plus aucun territoire, plus aucune catégorie sociale ne sont épargnés ».

368 molécules identifiées

Jérôme Durain parle de 368 molécules identifiées en France par l’OFDT (Observatoire Français des Drogues et Tendances addictives). Jamais la drogue n’a été autant produite dans le monde, ni autant distribuée. Le rapport pointe du doigt l’émergence des produits nouveaux très sophistiqués et la banalisation des drogues dures. Si le cannabis reste la drogue la plus répandue dans le monde (en France, on considère que la moitié de la population adulte en consomme ou en a consommé), le phénomène le plus marquant de ces dix dernières années est l’explosion de la consommation, et donc du trafic, de cocaïne. Les drogues de synthèse sont enfin un eldorado pour les trafiquants. Faciles à produire discrètement, le rapport identifie 897 nouvelles drogues de synthèse produites en Europe de l’Est, en Belgique et aux Pays-Bas. « Le danger est à nos portes ».

Lors de son audition, le ministre de l’économie et des finances a estimé à 3,5 milliards d’euros les sommes générées en France par le narcotrafic.

Une véritable « Start-stups Nation »

Les narcotrafiquants sont « des opérateurs économiques agiles, inventifs et impitoyables ». Face à la répression, ils diversifient leurs modes d’action. Ils ont créé en particulier des solutions de blanchiment tentaculaires, très difficiles à combattre. Lors de son audition, le ministre de l’économie et des finances a estimé à 3,5 milliards d’euros les sommes générées en France par le narcotrafic. Devant Etienne Manteaux, procureur de la République de Besançon, des représentants de la Police Nationale, des élus locaux et régionaux et la directrice de cabinet du Préfet du Doubs réunis au Petit Kursaal, Jérôme Durain a surtout fait un constat partagé depuis des années, voire des décennies.

Pour Jérôme Durain « il faut surtout frapper les trafiquants au portefeuille » en instaurant une procédure d’injonction pour richesse inexpliquée, non-justification de ressources et présomption de blanchiment, voire des saisies conservatoires des biens des narcotrafiquants « supposés ».Une procédure qui peut se heurter au veto du Conseil constitutionnel.

Quelques recommandations nouvelles

La commission d’enquête souhaite la création d’un parquet national anti-stupéfiants, référence sur le narcotrafic en matière judiciaire ayant le monopole de la gestion des « repentis ». Elle recommande la facilitation des infiltrations policières et le traitement des sources.  La commission entend durcir la procédure pénale. Mais la création d’un dossier « coffre » inquiète de nombreux avocats qui y voient une atteinte au débat contradictoire.

Pour lutter contre la corruption, même de « basse intensité », la commission d’enquête recommande la réforme de l’organisation du travail des acteurs de la lutte contre le narcotrafic en rendant matériellement impossible la corruption des agents publics et détecter en amont les usages anormaux des fichiers de police, en particulier en faisant appel à l’Intelligence Artificielle.

Pour Jérôme Durain « il faut surtout frapper les trafiquants au portefeuille » en instaurant une procédure d’injonction pour richesse inexpliquée, non-justification de ressources et présomption de blanchiment, voire des saisies conservatoires des biens des narcotrafiquants « supposés ». Une procédure qui peut se heurter au veto du Conseil constitutionnel.

L’enjeu de la prévention

Jérôme Durain et Anne Vignot se disent favorables à la légalisation du cannabis, accompagnée d’un travail en profondeur sur les addictions et leurs causes sociales. Le Sénateur précise « cette légalisation n’est pas LA réponse au narcotrafic ». La baisse du taux « légal » de THC (la molécule active du cannabis) continuerait à alimenter, voire à développer un réseau « illégal » en mettant sur le marché du cannabis à des taux plus élevés. Depuis 2012, le taux de THC a doublé. Le Sénateur ne parle que de légalisation du cannabis sans trouver de solution pour les 367 autres molécules.

Billet d’humeur : salle de shoot, une réponse du « camp du bien »

Il n’existe pas de drogue douce ou de drogue récréative. L’usage de stupéfiants est une affaire de santé publique. Le canton de Genève a créé la première salle de shoot il y a 23 ans. « Local de consommation à moindre risque », les médecins et infirmiers tentent un coaching personnalisé sans vraiment conduire à un vrai sevrage. Utile pour lutter contre les hépatites et le sida, les usagers viennent prendre leur dose et poursuivent leur recherche de paradis artificiel. La lutte contre le narcotrafic passe d’abord par la réduction du nombre de consommateurs. Pendant trop longtemps et encore maintenant, l’usage de la drogue dite récréative est restée une habitude bien ancrée dans les milieux culturels et certains métiers à fort stress. Une partie significative de la classe politique en vante les effets « psychédéliques » tout en voulant la réprimer… ! Jérôme Durain et Etienne Blanc ont remis leur rapport à Michel Barnier, sensible au travail accompli. Comme beaucoup de rapports, aux conclusions souvent pertinentes, il risque de finir dans le placard d’un obscur collaborateur de Matignon.

Yves Quemeneur