L’histoire collective et la mémoire d’une majorité de Français retiennent la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie comme une délivrance festive et populaire, symbolisée par les immenses parades sur les Champs-Élysées parisiens comme partout en France. Ce 8 mai 2025, 80 ans jour pour jour après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les commémorations sont toujours organisées avec la même émotion. Un devoir de mémoire essentiel et nécessaire alors que dans le Doubs à l’époque, la fin de la guerre se ressent déjà depuis de longs mois. « Le 8 mai 1945 est un mardi, mais dès le vendredi précédent, les Bisontins décorent les rues et façades des bâtiments en attendant la date officielle de la fin de la guerre », souligne Jean-Claude Goudot, mémoire locale et membre du collectif Histoire des Chaprais. « La nouvelle de la première capitulation signée à Reims le 7 mai arrive très vite, notamment grâce à la radio. Ainsi le 8 mai 1945, la place du 8 septembre est déjà noire de monde alors que la capitulation allemande n’est signée que tard dans la nuit. Pour les Soviétiques, c’est même le 9 mai au matin avec le décalage horaire », poursuit l’intéressé. Plusieurs médias de l’époque retracent cette annonce. À Besançon, « dès 14 heures, les rues de notre ville se peuplèrent d’une foule joyeuse. […] la ville était pavoisée magnifiquement aux couleurs alliées et bisontines, il n’était pas une fenêtre qui n’ait au moins son drapeau, sa guirlande ou sa banderole » (La République de Franche-Comté & du Territoire de Belfort, 9 mai 1945).
7, 8 ou 9 mai 1945 ?
Le 9 mai 1945 est aussi la date choisie en premier lieu par la municipalité bisontine de l’époque. « Très curieusement, elle décrit cet événement comme une « manifestation patriotique pour célébrer la fin des hostilités ». Elle ne parle pas de victoire ! », poursuit Jean-Claude Goudot. Une cérémonie très codifiée, avec des coups de canons tirés depuis la Citadelle, « pour réveiller les fêtards de la veille », glisse l’historien. Dès 9h du matin, une commémoration à l’ancien rond-point des Bains, accolé au Parc Micaud est organisée. Le cortège converge ensuite vers le monument aux Morts devant la gare Viotte. « Le 8 mai 1945 est un moment très populaire et désorganisé quand le 9 mai est une commémoration officielle comme l’on connaît aujourd’hui ». La veille pourtant, Henri Bugnet (1899-1950), maire de Besançon, prononce un discours dans lequel il rappelle notamment que « nous, habitants de l’Est, nous avons couru les plus grands dangers ». Durant la Seconde Guerre mondiale, et comme le prouve Joseph Pinard dans ses travaux, Adolf Hitler (1889-1945) voulait effectivement remplacer la population franc-comtoise par des habitants du Tyrol.
Dans le Haut-Doubs les traces de telles festivités pour le 8 mai 1945 sont rares. Selon Daniel Pinard, historien local du secteur de Jougne « on n’a pas lu ou retrouvé beaucoup de choses dans nos recherches. La guerre terminée depuis septembre 1944 est toutefois restée dans les esprits encore plusieurs mois voire années car des prisonniers n’étaient toujours pas rentrés, les restrictions duraient…Il y a eu une cérémonie pour le retour des déportés mais l’impact du 8 mai 1945 est difficilement mesurable. » Dans leur livre Histoire de Jougne publié en 1988, Michel Malfroy, Joël Guiraud et Bernard Olivier évoquent quelques faits en lien avec la fin de la guerre : « la reddition inconditionnelle de toutes les forces allemandes, signée à Reims le 7 mai par Gustav Jodl, mais annoncée officiellement le 8 mai 1945, met fin à un long conflit. Cette capitulation est marquée par une cérémonie au monument aux morts de Jougne, suivie d’un défilé à La Ferrière et à la frontière. » Le 9 mai, une retraite aux flambeaux au cours de laquelle Hitler est brûlé en effigie et des bals dansants sont organisés.
À Pontarlier, la capitulation du 8 mai 1945 n’a pas fait grand bruit dans les journaux de l’époque, certains n’étant pas encore relancé après le contrôle par le régime allemand. La capitale du Haut-Doubs conserve beaucoup plus de souvenirs de sa libération, quelques mois plus tôt, le 5 septembre 1944. « C’était la foule dans la Grande Rue. Tout le monde se parlait, tout le monde avait le sourire. Une multitude de drapeaux apparaît aux fenêtres » (Madeleine Maugain, 20 ans, archives municipales). Des jours de festivités sans oublier le début de l’épuration sauvage, où des femmes ayant fréquenté des Allemands sont tondues et montrées à la vue de tous. « […] Le travail fini, on lui fait une croix gammée sur chaque joue, elle baisse la tête. On soulève le fauteuil pour que beaucoup de personnes la voient, les insultes fusent. Je suis atterrée et choquée […] » (Andrée Boucher, 11 ans, archives municipales).
Le Haut-Doubs, bousculé par l’arrestation du Maréchal Pétain
Au printemps 1945, le Haut-Doubs est davantage marqué par une autre nouvelle, survenue quelques jours plus tôt : l’arrestation du Maréchal Pétain le 26 avril 1945, au poste de frontière entre Jougne et Vallorbe. « L’arrestation n’était pas souhaitée mais quand il se rend, tout est mis en œuvre pour éviter un attentat ou une attaque contre lui. Ça fait beaucoup de bruit sur le territoire et les forces de l’ordre ont peur d’une attaque contre lui ou d’un attentat. Beaucoup de témoins de l’époque disent « on n’a rien vu », tant la sécurité était renforcée », poursuit Daniel Pinard. L’intéressé a travaillé avec un groupe d’élèves sur cette arrestation. Leurs recherches seront projetées symboliquement sur les murs de la gare des Hôpitaux-Vieux, à 19h précise. Le lieu et l’heure où le Maréchal Pétain a officiellement été arrêté.
Aujourd’hui, pour le 80e anniversaire de la victoire du 8 mai 1945, la Ville de Pontarlier a mis en place un programme riche pour se souvenir. Un autre temps fort original des commémorations du 80e anniversaire de la Libération qui se déroulent entre 2024 et 2025 a été marqué par l’exposition sur le général Charles De Gaulle et la Suisse. Dans la chapelle des Annonciades, du 26 avril au 12 mai, l’exposition a retracé une histoire peu connue (voir pages locales, édition du Haut-Doubs), mettant en avant des liens entre la Suisse et la vie politique et intime de Charles de Gaulle, tout au long de son existence. La petite-fille du général, Anne de Laroullière, a répondu présent. « Il y a un homme par siècle. Je pense que mon grand-père est celui du XXe siècle ».