Alexandre Moine, ancien président du Forum Transfrontalier de l’Arc Jurassien

Professeur de géographie à l’Université de Franche-Comté, le past-président de ce Think Tank au service du développement d’une identité transfrontalière dans l’Arc jurassien évoque notre proximité avec la Suisse.

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Qu’est-ce qui nous sépare et qu’est-ce qui nous unit avec nos voisins ?

Nous n’avons pas le même système institutionnel avec en France une administration centralisée malgré les tentatives de remédier à cela, alors qu’en Suisse, le système fédéral coordonne un pays où canton et même communes ont de nombreux pouvoirs, une réelle autonomie locale. Quand on évoque l’immigration, là aussi nos histoires sont différentes avec en Suisse, près de 30% de la population qui en est issue. Ils ont une approche très pragmatique sur cette question bien loin de l’image de fermeture que l’on a parfois. Par contre, même si nous avons des différences, les points communs sont nombreux entre nos deux pays, à l’échelle de l’Arc jurassien, ne serait-ce que géologiquement ou en termes de climat, d’environnement… nous nous ressemblons finalement beaucoup humainement.

Comment cela se traduit dans les faits ?

Avec le forum transfrontalier, nous avons enquêté sur les nombreuses petites coopérations qui lient nos deux pays. Nous en avons répertorié 73 sur des projets du quotidien, de proximité. Par exemple un brass band franco-suisse ou des installations touristiques… des co-constructions qui montrent une véritable envie de faire ensemble ainsi que des attentes communes.

On se doit aussi d’évoquer l’attrait économique de la Suisse…

La création d’emploi et les offres venues de Suisse sont nombreuses et vont continuer de croitre d’après les projections. Des opportunités pour les travailleurs français sur des emplois et des compétences identiques à ce qu’ils pourraient trouver ici avec en plus la même langue. C’est le cas pour les travailleurs sociaux, les infirmiers et bien sûr les emplois horlogers. Tout ceci montre l’interdépendance qui existe entre nos deux pays.

La question de la différence de salaire est bien entendu centrale puisqu’à travail égal un français travailleur frontalier peut gagner au moins deux fois plus de l’autre côté de la frontière ce qui pour certains pervertit nos relations.

Vous n’y voyez pas un problème ?

Au contraire, nos relations sont vertueuses. Notre envie à tous devrait simplement être que nos concitoyens, les jeunes en particulier, aient du travail à l’issue de leur formation et ce, ici ou ailleurs. Or c’est très largement le cas. Ce serait une hérésie de vouloir les assigner à résidence en les empêchant d’aller travailler en Suisse. Au contraire, nous devrions nous réjouir de savoir que leurs compétences, donc nos formations, soient aussi reconnues et valorisées à l’étranger. Grâce à la frontière toute proche, il y a de l’emploi, et les gens ont la chance de gagner décemment leur vie donc ne voyons pas les choses par le petit bout de la lorgnette.

Le problème de recrutement est pourtant bien réel côté France ?

Nous devrions peut-être aussi nous poser la question au-delà de la différence salariale. Les conditions de travail peuvent être un élément qui pèse en faveur de la Suisse. Pour les infirmières par exemple avec un système qui ici fonctionne mal, plus mal en tout cas que chez nos voisins.  Et puis, il y a visiblement une autre façon de concevoir la collaboration en Suisse avec plus de facilité d’avoir une trajectoire ascendante, une autre reconnaissance et parfois un bien-être au travail ressenti comme différent.

Que peut-on dire de la problématique des mobilités ?

Il s’agit plus globalement d’une question d’aménagement du territoire. La frontière juxtapose deux systèmes institutionnels nous l’avons dit, donc deux façons différentes de gérer les dossiers. Localement en Suisse. Avec notre millefeuille administratif en France. Prenons l’exemple du TER qui relie nos deux pays via le Col des Roches. 97% des 10000 frontaliers le franchissent en voiture. En parallèle, l’offre ferroviaire est sous-dimensionnée et ne répond pas aux réalités locales. Une meilleure acculturation entre nos deux pays pourrait favoriser les stratégies et les prises de décisions. Une vraie concertation aurait sans doute aussi permis de réfléchir autrement concernant le contournement du Locle, tourné vers le tout voiture alors que le trafic aurait pu en partie être reporté vers le train.

Alors finalement, notre proximité avec la Suisse, est-ce vraiment une chance ?

Oui. Sans hésiter. C’est une sacrée opportunité et pas seulement d’un point de vue économique. Nous avons beaucoup à faire avec la Suisse et ne devrions y voir que des opportunités pour l’avenir.