Législatives, la machine à cash

Au-delà de la victoire par adhésion ou par défaut d'’Emmanuel Macron, il y a une question existentielle pour les partis politiques, quelle que soit leur représentativité : comment se répartir les 66 millions d’euros de financement public issus du scrutin des élections législatives des 12 et 19 juin prochain.

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Pour tenter de comprendre ce fonctionnement au nom de la défense de la démocratie, il faut remonter à la fin des années 80 et à l’affaire Urba, cette officine du parti socialiste chargée de rendre légal le « racket illégal » organisé dans la passation des marchés publics de l’Etat et surtout des collectivités territoriales. Les lois du 11 mars 1988 et du 15 janvier 1990 avaient tenté de « cacher sous le tapis » les remous politiques de cette affaire. En janvier 1995, la législation renforce la lutte contre le financement occulte des partis en interdisant le financement par des personnes morales. Enfin, en 2017, la loi intitulée « pour la confiance dans la vie politique » (ça ne s’invente pas), encadre plus strictement les prêts aux partis politiques et aux campagnes électorales.

Comment sont répartis les 66 millions d’argent public distribués aux partis politiques chaque année

Le montant des crédits inscrits chaque année dans le projet de loi de finances est divisé en deux parts égales.

La première fraction est calculée en fonction du nombre de voix obtenues aux élections législatives

Elle est attribuée aux partis et groupements politiques qui ont présenté aux dernières élections législatives des candidats ayant obtenu chacun au moins 1% des suffrages exprimés dans au moins cinquante circonscriptions. Dans les départements et territoires d’Outre-mer, la limite de 50 circonscriptions ne s’applique pas.

La répartition est effectuée proportionnellement au nombre de suffrages exprimés obtenus au premier tour par chacun des partis ou groupements politiques.

Le tableau ci-dessous peut être un outil pour les électeurs à choisir tel ou tel camp, non pas seulement en fonction de ses propositions mais aussi en fonction de son poids financier. Par exemple, on notera que « Lutte Ouvrière » le bras armé de Nathalie Arthaud perçoit chaque année depuis 2017, la modique somme de 260 734,30€ ou le « parti animaliste » qui crédite son compte bancaire chaque année de 67 185,87 €.

Parti politique Nombre de voix en 2017 Décote parité Montant de l’aide publique
La République en Marche 6 152 527 0€ 10 097 659,82 €
Les Républicains 3 478 875 -1 787 354,47€ 3 922 250,10 €
Rassemblement national 2 973 612  0€ 4 880 356,06 €
La France Insoumise 2 438 734 -252 443,04€ 3 750 059,72 €
Parti socialiste 1 594 942 0€ 2 617 653,16 €
Mouvement démocrate 1 120 897 0€ 1 839 640,30 €
Europe Ecologie les Verts 773 738 0€ 1 269 875,47 €
UDI 635 204 0€ 1 042 510,49 €
Parti communiste 634 340 0€ 1 041 092,47 €
Debout la France 247 480 -13 244,66€ 392 924,85 €
Régions et peuples solidaires 167 838 0€ 275 459,34 €
Lutte Ouvrière 158 866 0€ 260 734,30 €
Parti radical de gauche 140 156 0€ 230 027,05 €
Alliance écologiste indépendante   97 792 -54 610,46€ 105 887,88 €
La France qui ose   90 270 -34 286,85€ 113 866,22 €
Parti animaliste   63 679 -37 325,48€ 67 185,87 €

 

« Régions et peuples solidaires » regroupe les partis régionalistes (on y retrouve entre autres Jean Lassalle et Gilles Simeoni) et « la France qui ose » une frange de micro partis libéraux autour de Rama Yade, l’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy. « L’alliance écologiste indépendante » est un mouvement d’inspiration centriste et écologique animé par Jean-Marc Governatori qui a participé à la primaire des écologistes en 2021. Quant au parti animaliste, Hélène Thouy en est la présidente qui n’a pas obtenu ses parrainages pour participer à la compétition des présidentielles.

Le montant reçu par suffrage exprimé au premier tour est de 1,64€.  Cela explique largement la multiplication des candidats.

La seconde fraction est destinée au financement des partis et groupements représentés au Parlement. Elle s’élève à 34 037 738,28€ en 2022. On comprendra aisément « la tambouille électorale » entre les deux tours. Au premier tour, être présent, sans aucune chance d’être élu, rapporte de coquettes sommes pendant cinq ans. Au second tour, ce sont donc les gagnants qui alimentent la caisse de leur parti.

Les 272 députés et 19 sénateurs identifiés à La République en Marche rapportent 10 884 077,10€ par an depuis 2017. Le Parti des Républicains avec 103 députés et 141 sénateurs reçoivent 9 126 167,74€. Ce sont les 63 sénateurs socialistes qui sauvent la mise du parti d’Anne Hidalgo qui n’a plus que 26 députés. Le PS touche quand même plus de 3 millions par an à peu près autant que l’UDI et le Modem. « Je veux être le Premier Ministre » a claironné Jean-Luc Mélenchon. On comprend l’intérêt de la France Insoumise qui ne perçoit (pour le moment) que 635 000€ pour ses 17 députés et le rassemblement à gauche prôné par les Verts dont le compte bancaire de ses 12 sénateurs plafonne à 448 000€. Les derniers de la classe se trouvent dans les départements et territoires d’Outre-mer. Un parlementaire élu rapporte à son parti 37 400€.

Le piège de la parité

La loi du 4 août 2014 « pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes » a renforcé les sanctions pour les partis qui ne respectent pas le principe de parité dans la présentation des candidatures. L’écart entre le nombre de candidats de chaque sexe rattachés à un parti ou un groupement politique ne doit pas dépasser 2%. A défaut…et on reconnaît là le vocabulaire technocratique… »le montant de la première fraction de l’aide publique est diminué d’un pourcentage égal à 150% de cet écart rapporté au nombre total de ses candidats » !

La loi et son équation complexe partait d’un bon principe : assurer un meilleur équilibre femme-homme dans les hémicycles…mais le diable se cache dans les détails. La sanction s’applique même en cas de surreprésentation des femmes par rapport aux hommes. Et surtout, le texte concerne les candidats, pas les élus. Ainsi, de nombreux partis vont respecter la parité des candidatures tout en offrant aux femmes des circonscriptions ingagnables !

Le train de vie des parlementaires

Les parlementaires sont cajolés par le gouvernement, quelle que soit sa couleur politique. L’indemnité de base mensuelle est de 7 239,91€ brut (indemnité de base, indemnité de fonction et de résidence) Après déduction des cotisations sociales, le montant net perçu par les parlementaires est de 5 715,43 €. Ce montant est soumis au prélèvement à la source au titre des traitements et salaires.

Même si certains parlementaires se voyaient offrir des costumes…chaque élu national perçoit une indemnité mensuelle de 5 373€ pour couvrir ses frais de mandat, de secrétariat et de location d’une permanence. Par ailleurs, l’Etat octroie généreusement 10 581€ par mois pour la rémunération des attachés parlementaires sur la base de trois salariés. Les charges patronales, sociales et fiscales, sont prises en charge par  l’Assemblée Nationale.

Pour faire complet, les parlementaires disposent d’une carte SNCF annuelle en 1ère classe sans limitation de voyages, l’usage de taxis et jusqu’à 80 vols aériens par an pour les parlementaires entre Paris et leur circonscription plus 12 vols pour toute destination hors circonscription sur le territoire métropolitain. On peut ajouter quelques autres menus frais pris en charge généreusement par le budget des Assemblées.

Lorsque l’on mettra un bulletin dans l’urne les 12 et 19 juin prochains, chaque électeur (et même les abstentionnistes) y glisse une petite contribution financière…on appelle cela, paraît-il, le prix de la démocratie !

Yves Quemeneur