Pierre-Louis Hélias, vice-président de Médecins Pour Demain

Le collectif devenu une association est né l’automne dernier à l’initiative de médecins libéraux qui partagent leur inquiétude grandissante quant à la dégradation du système de santé et à la perte de sens de leur exercice.

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Quelle est aujourd’hui la situation de la médecine générale ?

Aujourd’hui près de 40% des médecins généralistes se déclarent en burn-out. Ils travaillent 55 heures par semaine dont 20% d’administratif d’après le conseil national de l’Ordre, bientôt plus avec la création des communautés professionnelles territoriales de santé. Les consultations sont de plus en plus complexes et nécessitent d’y consacrer plus de temps. Pourtant, nos actes ne sont plus réévalués depuis 2017 et les 26,5 proposés pour 5 ans cette année ne couvre même pas l’inflation 2022 : nous n’avons plus de perspectives d’investissements. Comment financer un poste de secrétariat de façon pérenne, agrandir des locaux (pour accueillir d’autres professionnels ou assistants médicaux) ou renouveler notre matériel ? Les charges représentent plus de 50% de nos chiffres d’affaires bruts.

Que préconisez-vous ?

Nous demandons de valoriser le colloque singulier entre le médecin et son patient. Nous voulons plus de temps médical et moins d’administratif. Prenons l’exemple des arrêts de travail courts : nous proposons une responsabilisation des patients qui disposeraient d’un quota annuel soumis à carence, pour se déclarer malade en toute autonomie. Autre problème : la coordination avec les professionnels de ville est quotidienne, mais on nous oblige à l’officialiser via des protocoles administratifs.  En centre de santé public, la consultation revient à plus de 70€, La moyenne européenne est à 46€ la consultation chez un médecin généraliste libéral. Un médecin allemand emploie 2 personnes, un Français 0.2 en moyenne. Nous demandons donc que la France rattrape progressivement son retard.

Un moyen selon vous de provoquer plus d’installations ?

Pourquoi faire 10 ans d’études pour travailler 55h par semaine sans perspective d’investissement, d’embauche, au détriment de la qualité de travail comme de la qualité de vie ? On voudrait en plus nous imposer les contraintes du salariat avec les coûts et la précarité du libéral ! Aujourd’hui, seuls 30% des médecins s’installent en libéral dans les 5 ans qui suivent leur thèse : ils choisissent parfois le salariat, se reconvertissent dans des spécialités plus rémunératrices ou éloignées du soin comme dans la médecine du travail ou quittent la médecine ! Le problème n’est pas uniquement le numérus clausus : on peut dès aujourd’hui on peut déclencher au moins 4000 installations supplémentaires en revalorisant notre métier, en redonnant du sens et du temps médical et donc des perspectives. Il y a 15 ans, le maillage territorial était bon : 87% du territoire est aujourd’hui un désert. En redonnant de l’attractivité à la profession, nous remettrons un médecin en face de chaque patient.

Où trouver l’argent ?

Beaucoup d’argent est aujourd’hui dépensé dans l’administratif, en ville comme à l’hôpital. L’assurance maladie souhaite que l’on voit plus de patients chaque jour. Pour cela, ils espèrent réduire notre durée de consultation en subventionnant partiellement et temporairement des assistants médicaux et transférant des compétences médicales à des non-médecins. Nous demandons que l’on arrête de mettre la médecine de proximité sous perfusion de subventions en raison d’un acte trop bas et que l’on redonne sa place à l’acte médical. Nous refusons que le diagnostic médical et la primo-prescription soient transférés, comme le prévoit la loi Rist-Bergé, à des non médecins. Chaque patient doit entrer dans le soin après un diagnostic médical. Il peut y avoir ensuite une délégation de tâche chez les patients stabilisés

Parlons des forfaits qui représentent aujourd’hui 15 à 20% de vos revenus

Le forfait patientèle nous permet d’avoir une petite compensation pour le suivi des patients complexes. Nous souhaitons le conserver. En revanche, nous appelons à supprimer la rémunération sur objectifs de santé publique que l’on touche non pas en fonction de nos compétences mais selon ce que fait le patient : vaccination, dépistage, consommation de médicaments génériques… Enfin un forfait « structure » nous rémunère si on utilise tel type de logiciel, si on remplit suffisamment les arrêts de travail et autres procédures en ligne alors que le site dysfonctionne régulièrement. Supprimons ces 2 forfaits et réintégrons les pour payer l’acte en lui-même.

Si ce n’est pas le cas, que craignez-vous ?

Actuellement, deux tiers de la dépense est prise en charge par la Sécurité Sociale, le tiers restant par la Mutuelle. Cela n’est possible que grâce à la convention. A force de mépris, qu’en sera-t-il quand les médecins et les autres libéraux de la santé n’auront plus le choix que d’en sortir pour assurer leurs investissements ? Il en résultera un système à deux vitesses avec ceux qui peuvent avoir recours à des médecins moins remboursés qui prendra le temps nécessaire et ceux qui se verront proposer des rendez-vous de quelques minutes, parfois avec des infirmiers. C’est le système anglo-saxon encouragé par la CNAM. Nous nous y opposons.