Le gouvernement du premier mandat d’Emmanuel Macron a signé en catimini le nouveau contrat de performance entre l’État et SNCF Réseau, l’entité du groupe ferroviaire gérant les lignes régionales notamment. Un sujet très sensible censé être signé après les élections…
Un budget déjà insuffisant avant l’inflation
À l’intérieur de ce contrat sur dix ans, un budget annuel de 2,8 milliards d’euros pour entretenir le réseau existant quand les experts préconisaient près d’un milliard supplémentaire. Ce dossier SNCF Réseau est revenu sur la table il y a deux semaines, pour nouveau problème qui a fait l’effet d’une petite bombe : « Le PDG Luc Lallemand a avoué que les moyens prévus sont insuffisants. D’abord pour maintenir le réseau ferroviaire tel qu’il existe aujourd’hui. C’est encore plus insuffisant pour répondre aux enjeux de développement durable et de réduction de l’empreinte carbone. Enfin en regardant les chiffres de plus près entre la signature et maintenant, les matières premières et l’énergie ont drastiquement augmenté le coût ferroviaire, c’est un budget totalement décalé. », résume Gilles Dansart, journaliste indépendant et expert sur le sujet.
Un réseau coupé en deux ?
Après les aveux vient les conséquences. Au cours d’une réunion du 8 juin, le PDG de SNCF Réseau explique : « […] Il faudra réduire le montant de la régénération sur le réseau classique. Si l’État n’intervient pas au plus tard en septembre il faudra diviser le réseau en deux parties. […] D’un côté le « super-structurant » regroupant les lignes UIC 2 à 4 où l’investissement se poursuivra et l’autre partie, où les lignes UIC 5 à 6 où nous désinvestirons ». (Propos rapportés par le magazine La Vie du Rail, le 22 juin 2022).
« Depuis la loi 2018 du nouveau pacte ferroviaire sous le gouvernement d’Edouard Philippe, SNCF Réseau est une société anonyme. Luc Lallemand a l’interdiction d’augmenter la dette. En résumé par ses aveux, puisque les coûts sont supérieurs, il dit simplement « je ne compenserai pas par de la dette, je bloque les travaux. » Ça a mis le feu aux poudres quand il a expliqué ne plus pouvoir garantir l’entretien des lignes UIC 5 à 6. On parle d’une ligne Paris – Clermont Ferrand, Bordeaux – Nantes, …» résume Gilles Dansart.
Le réseau départemental n’est pas dans le bon wagon
Le Doubs pourrait-il être impacté ? A l’heure actuelle, les deux lignes transfrontalières reliant Neuchâtel et Vallorbe à la gare de Frasne sont classées UIC 8 et UIC 6. La ligne TGV depuis Frasne est une UIC 5 quand celles passant par Besançon en provenance du Jura oscillent entre 2 et 6 sur certaines portions. Des catégories définies par la fréquentation des lignes et leur trafic. Plus il y a de monde et de passages plus la ligne remonte au classement. Celle des Horlogers récemment rénovée et inaugurée en grande pompe fin 2021 est classée UIC 9. Vous l’aurez compris, sans mauvais jeux de mots le réseau départemental ne semble pas dans le bon wagon à première vue.
423 millions d’euros en 2021
L’an dernier SNCF Réseau avait présenté un bilan complet de l’investissement ferroviaire en Bourgogne Franche-Comté avec 423 millions d’euros dépensés dont 173 en co-financement. Avec le nouveau contrat, difficile de retrouver le même montant. En coulisse chez SNCF Réseau, on attend les directives nationales. Contacté, la direction régionale explique qu’elle sera en capacité de répondre à compter de septembre, date à laquelle rappelons-nous, le PDG Luc Lallemand espère obtenir une renégociation dudit contrat de performance.
L’atout transfrontalier
Toujours est-il que le Doubs s’en sort jusqu’à présent plutôt bien contrairement à d’autres. « Le fait d’avoir des lignes transfrontalières est un gros atout dans l’entretien et devrait sauver toutes ces lignes. A l’image de ce que souhaite ce gouvernement, la multimodalité de la gare de Frasne est aussi un atout de taille dans la réflexion. Les lignes UIC 7 à 9 ont subi d’important changements depuis de nombreuses années. Certaines ont été reprises par les Régions (le cas de la ligne des Horlogers) d’autres par SNCF Réseau. L’État veut amener la Région à gérer elle-même plus de lignes, en totalité. Problème, les Régions ont très peu de recettes fiscales directes et la compensation de l’État est inégale. », poursuit Gilles Dansart. La Région Bourgogne Franche-Comté a d’ailleurs engagé une mise en concurrence intégrale.
L’hypocrisie écologique
« Il y a une hypocrisie entre l’affichage politique d’Élisabeth Borne lors de la présentation de sa politique générale à propos de la radicalité écologique et les moyens accordés. », poursuit l’expert. « Il y a un mensonge clairement. Ce gouvernement n’a pas envie de mettre de l’argent pour le ferroviaire. Il n’y pas un sens du réseau comme chez nos voisins. A titre d’exemple, les Italiens ont choisi d’investir 130 milliards sur les vingt prochaines années et l’Allemagne 85 milliards d’euros sur dix ans. Chez nous, petit à petit le réseau s’étiole, la part de marché du ferroviaire est passé de 15 % à 10 % en 20 ans. En 30 ans les transports n’ont pas baissé leur dégagement de CO2, on est au bout du système et la voiture électrique ne se substituera pas à la voiture thermique. »
Alors que le gouvernement Borne tente d’asseoir sa légitimité sans majorité au Parlement, le dossier SNCF devrait revenir très rapidement au cœur de débat à l’assemblée avec une pression supplémentaire des Régions. La semaine passée trois sénateurs ont signé une tribune contre ce contrat de performance.
M.S