Édito. AME : les fantasmes du Sénat

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À quoi reconnaît-on une décision politique emprunte de démagogie, au détriment de son efficacité ? Mardi 7 novembre, le vote du Sénat supprimant l’aide-médical d’État (AME), remplacée par une aide médicale d’urgence (AMU) a fait bondir une partie de la médecine française.

Dispositif permettant aux étrangers en situation irrégulière avec de faibles ressources (moins de 810€/mois) de bénéficier gratuitement d’un accès aux soins en France (Hors-Mayotte), l’AME concerne environ 400 000 bénéficiaires sur le territoire, un chiffre en augmentation depuis 2019, date également du dernier rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur ce dispositif. Les arguments financiers utilisés pour justifier ce remplacement par l’AMU sont fébriles. Le fameux « appel d’air » prôné par les réformateurs apparaît davantage comme un nouveau fantasme. Les crédits prévus pour l’AME en 2023 sont d’1,2 milliard d’euros (soit 3000€ de soins par an par bénéficiaire), une somme importante qui ne représente toutefois que 0,47% des dépenses de santé. Selon le dernier rapport de l’ONG des Médecins du Monde, 80% des personnes éligibles à l’AME n’y ont pas recours.

Surtout, l’AMU pourrait peser encore plus lourd que sa prédécesseur. Le texte voté par le Sénat réduit considérablement le type de soins remboursés et se concentre uniquement sur la prophylaxie, le traitement des maladies graves et des douleurs aiguës, les soins liés à la grossesse et ses suites, les vaccinations réglementaires et les examens de médecine préventive. Comme le souligne Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée aux professions de santé : « il est préférable de prendre en charge une maladie bénigne, avant qu’elle ne se transforme en pathologie grave, ou avant qu’elle ne se propage. ». Un propos partagé dès le lendemain par 3500 médecins dans une tribune transmise à l’AFP. Une « déclaration de désobéissance », où les signataires s’engagent à continuer de « soigner gratuitement » ces malades, « conformément au Serment d’Hippocrate ». Sur le long terme, le collectif s’inquiète des effets délétères sur le système de santé français : « l’éloignement du système de santé aboutit […] au déséquilibre et à l’aggravation des maladies chroniques, […] provoquant en urgence des hospitalisations complexes et prolongées, dans des structures déjà fragilisées, et à des coûts finalement bien plus élevés pour la collectivité ».