Naissance prochaine d’un Euro numérique ?

"Nous devons préparer notre monnaie pour le futur". C’est l’annonce de Christine Lagarde, Président de la BCE en octobre dernier. Pour mieux connaître les enjeux de cette monnaie numérique, Jean-Luc Mesure, directeur départemental de la Banque de France avait organisé une conférence à l’Université de Franche-Comté le 23 janvier 2024

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Jean-Luc Mesure, Directeur départemental de la Banque de France du Doubs et Clément Delaneau, Ingenieur Blockchain à la Banque de France, lors de la conférence du 23 janvier 2024 à l'Université de Franche-Comté ©YQ

C’est dans le cadre du partenariat entre la Banque de France et l’UFR SJEPG de l’Université de Franche-Comté que Clément Delaneau, ingénieur Blockchain à la Banque de France, a tenté de démystifier la numérisation galopante de la monnaie.

Est-ce la fin du paiement en espèces ?

Jean-Luc Mesure l’a affirmé « L’Euro numérique coexistera avec les espèces et les autres moyens de paiement ». Il les complétera sans les remplacer, laissant la liberté de choix aux acteurs, particuliers et entreprises,  sans aucune obligation d’utilisation.

L’Eurosystème s’est engagé à garantir l’usage des espèces qui doivent rester largement accessibles et acceptées.

60% des paiements réalisés par carte bancaire en France

Nous sommes loin des Britanniques qui l’utilise à plus de 81% ou du Danemark (70%). A contrario, les Allemands n’effectuent que 25% des transactions par carte bancaire (hors cash).

La France a une particularité. 6% des transactions (hors cash) sont réalisées par chèque alors que ce moyen de paiement a presque totalement disparu dans tous les autres pays européens.

On peut raisonnablement s’interroger sur l’objectif final de la Banque Centrale Européenne. La fin du cash signerait la fin des « bas de laine » sous le matelas et surtout…permettrait un contrôle accru de toutes les transactions offrant aux Etats européens un meilleur rendement de leur fiscalité sur la consommation. Dans la présentation faite par Clément Delaneau, c’est tout le contraire puisque l’Euro numérique assurerait une meilleure confidentialité des transactions…à voir !

L’Euro numérique, une logique dans un monde digital

Jean-Luc Mesure met en avant deux objectifs essentiels pour la création de l’Euro numérique : d’une part le maintien de la souveraineté monétaire dans la zone Euro alors que toutes les grandes économies mondiales développent ou envisagent de développer cette monnaie centrale digitale. D’autre part, la gratuité de cette monnaie et la confidentialité des transactions rendue possible par le système Blockchain. Comment sera-elle distribuée ? Par les réseaux des banques commerciales mais alors à quel coût ? Il reste beaucoup d’inconnus dans cette équation complexe !

La « tokénisation » de la valeur

Depuis 1994 et la création du Bitcoin par Nick Szabo, « l’actif (la valeur) devient un format numérique facile à transférer, à échanger par un accord entre les parties et sans valeur juridique » souligne Clément Delaneau. Pour l’expert de la Blockchain, c’est une façon de simplifier les processus d’échanges et de décentraliser la finance.

Complexifier les échanges commerciaux ?

L’Euro numérique et plus généralement la digitalisation de l’économie ne va pas dans le sens d’une réduction de la fracture numérique. Même le grand nombre d’étudiants en économie présents dans l’amphithéâtre Cournot à la Bouloie étaient perdus dans la tokénisation, les stablecoins et autres acronymes anglo-saxons.

La Banque Centrale Européenne au cœur de profondes mutations

La diminution de l’utilisation des espèces et la numérisation des paiements, amplifiés par la crise sanitaire, ont fait apparaître de nouveaux acteurs dans les technologies et gestion des actifs financiers. Pour la BCE et les banques centrales nationales, la création de l’Euro numérique est  donc un enjeu de souveraineté monétaire et de stabilité financière mais également la promotion des outils d’innovation dans un cadre de confiance.

L’évolution de notre cadre de vie, y compris bancaire, va probablement creuser encore plus l’écart entre la génération Z biberonnée à l’utilisation des nouvelles technologies et une population de plus en plus grande exclue du numérique. Si la stratégie numérique de la Banque Centrale Européenne va dans le sens d’un meilleur contrôle de la monnaie, l’euro numérique n’est pour l’heure qu’un projet. La décision finale n’interviendra qu’après un vote de l’Assemblée européenne et le choix final de la solution de  l’Euro numérique ne peut s’envisager avant fin 2025. Les décideurs politiques et technocrates européens ont deux ans pour s’assurer qu’ils ne fabriquent un ogre qui mangera les 450 millions d’européens.

Yves Quemeneur