Besançon. Affaire Péchier : l’ouverture d’un procès historique

L’anesthésiste-réanimateur Frédéric Péchier est accusé d’avoir empoisonné 30 patients, provoquant un arrêt cardiaque mortel pour 12 d’entre eux. Huit années d’investigations auront permis de construire une affaire déjà historique : est-on face à un médecin victime d’un acharnement judiciaire sans précédent ou est-ce la plus grande affaire criminelle de l’histoire française ? Son procès s’ouvre ce lundi 8 septembre à Besançon.

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La clinique Saint-Vincent

En huit ans, tout a été dit, tout a été écrit sur cette affaire des « empoisonnements inexpliqués à la Clinique Saint-Vincent », rapidement renommée « l’affaire Péchier » par les médias locaux et les enquêteurs.

Ce lundi 8 septembre 2025, une partie de l’histoire judiciaire et criminelle française s’écrit à Besançon. Signe que la cour d’Assises du Doubs a pris la mesure de cet événement, l’audience se tient pendant trois mois dans la salle historique du Parlement, classée aux Monuments historiques et spécialement rénovée pour l’occasion. Sa capacité de 191 places apparaît pourtant bien faible au regard du nombre de personnes concernées par cette affaire : 156 parties civiles et leurs 54 avocats pour les représenter, un accusé assisté de deux avocats, 155 témoins, 15 experts, neuf jurés, presque autant de personnes pour composer la cour d’Assises présidée par Delphine Thieberge et des dizaines de journalistes.

30 faits d’empoisonnement, dont 12 mortels

« Ce qui est reproché à Frédéric Péchier, c’est d’avoir empoisonné des patients le plus souvent en bonne santé, pour atteindre les collègues avec lesquels il avait des différends », résumait en mai 2024 Etienne Manteaux, procureur de la République de Besançon à l’époque, au moment de présenter son réquisitoire définitif. Un réquisitoire transformé le 5 août 2024 en ordonnance de mise en accusation.

Dans le détail, le Ministère public, représenté tout au long de cette audience par Thérèse Brunisso, procureure générale honoraire et Christine Goulard de Curraize, procureure de la République adjointe, accuse l’anesthésiste Frédéric Péchier d’avoir sciemment empoisonné 30 patients au cours d’interventions chirurgicales bénignes provoquant un arrêt cardiaque mortel pour 12 d’entre eux. Ces événements indésirables graves (EIG) – terme médical pour définir un problème inexplicable au cours d’une opération – sont liés à l’intoxication médicamenteuse des poches servant à l’anesthésie des patients. L’enquête menée pour arriver à cette accusation est colossale et concerne des EIG survenus entre 2008 à 2017.

L’audience se tient pendant trois mois dans la salle du Parlement, rénovée et aménagée pour l’occasion.

Du 9 au 22 septembre 2025, dans la salle du Parlement, la cour va d’abord se replonger dans l’enquête préliminaire de 2017, là où tout commence. Les deux premières victimes de cette immense affaire sont Sandra Simard et Jean-Claude Gandon. Le mercredi 11 janvier, la mère de famille de 36 ans est prise en charge à la Clinique Saint-Vincent pour une arthrodèse lombaire. Jeune, plutôt sportive, la patiente ne présente aucun risque et son opération n’est qu’une formalité. Son arrêt cardiaque est inattendu, inexplicable. Rapidement, son anesthésiste, le Dr. Balon-Dole demande l’examen du matériel médical utilisé au cours de l’opération, allant jusqu’à rechercher les poches de perfusion usagées déjà jetées dans la décharge. Celles-ci sont retrouvées percées avec une concentration de potassium « létale », « environ cent fois supérieur à la normale », précise Étienne Manteaux.

Alertée, l’Agence Régionale de Santé (ARS) écrit dans ses conclusions transmises au procureur le 19 janvier : « il est improbable qu’une erreur soit la cause de l’accident. En conséquence, il ne peut être exclu qu’il s’agisse d’une tentative d’assassinat ». L’annonce fait l’effet d’une bombe. À la Clinique Saint-Vincent, la présence d’enquêteurs et les rumeurs qui circulent troublent le personnel.

Pour l’accusation, c’est d’ailleurs l’annonce de l’ouverture d’une enquête préliminaire qui aurait poussé un Frédéric Péchier en panique, a empoisonné son propre patient, Jean-Claude Gandon. Un « EIG Alibi », comme le détaille Étienne Manteaux dans son réquisitoire de 369 pages, qui survient le vendredi 20 janvier 2017.  Pris en charge par le médecin anesthésiste-réanimateur avant d’être opéré de la prostate, Jean-Claude Gandon est victime d’un arrêt cardiaque inexpliqué. C’est la première intervention de la journée. Cette fois les enquêteurs ont le temps de figer la salle d’opération et saisir tout le matériel ayant servi à l’anesthésie du patient. Les prélèvements démontrent une pollution de la poche de paracétamol à la mépivacaïne, produit qui, en cas de surdosage, peut entraîner un arrêt cardiaque. Des traces de cette même substance sont retrouvées sur des seringues utilisées pendant l’intervention, où Frédéric Péchier est accompagné d’une infirmière stagiaire. « C’est presque du flagrant délit », commente le procureur de la République, Étienne Manteaux. Cet événement troublant corrélé aux multiples témoignages de collègues et confrères du médecin font rapidement de lui le principal suspect.

Deux premiers cas étudiés par la cour d’Assises dans les premiers jours du procès, avant tous les autres jusqu’au 27 novembre 2025. Vient ensuite l’étude de la personnalité de l’accusé, les plaidoiries, le réquisitoire pour enfin déboucher sur le délibéré aux alentours du 19 décembre. Pendant près de trois mois, Frédéric Péchier devra répondre à tout. Sa vie, son parcours et sa personnalité seront décryptés dans le moindre détail. Face à lui, le dossier de l’accusation est énorme et remplit « d’éléments graves et concordants ». « Au final, le dossier compte 27 000 cotes, c’est-à-dire 27 000 feuillets que le parquet de Besançon vient de synthétiser », insiste Étienne Manteaux.

La clinique Saint-Vincent et la polyclinique sont parties civiles

Chronologiquement, les premiers EIG retenus dans cette affaire et susceptibles d’être des empoisonnements provoqués par le docteur Frédéric Péchier selon le parquet, surviennent en octobre 2008. Deux arrêts cardiaques inexpliqués, les 10 et 14 octobre à la Clinique Saint-Vincent, sur des patients dont l’anesthésie est gérée par des confrères du médecin. Aucun autre EIG ne survient dans cet établissement pendant le premier semestre 2009. Dans le même temps, Frédéric Péchier quitte l’établissement pour la Polyclinique de Franche-Comté (PFC) où des conflits naissent rapidement avec d’autres collègues. « Le 7 avril et le 27 avril 2009, deux patients de l’anesthésiste le plus ouvertement en conflit avec lui subissent un arrêt cardiaque ».

Un troisième EIG survient le 22 juin 2009, dix jours pourtant après le départ du docteur Péchier qui retourne à la Clinique Saint-Vincent. « Il est établit que la poche de perfusion empoisonnée pour cette opération a été sortie avant le 12 juin, date du départ du mis en examen. Un médecin légiste a prouvé que les poches peuvent être polluées à l’avance sans aucune trace décelable. Il n’y aura plus aucun arrêt cardiaque inexpliqué à la PFC après ce mois de juin. Dès le retour de Frédéric Péchier à la Clinique Saint-Vincent, de nouveaux événements graves indésirables sont constatés à compter de septembre 2009 (les 08/09 et 25/09, ndlr), touchant des patients de médecins anesthésistes hostiles à son retour », poursuit le procureur.

Le procureur Étienne Manteaux en train de s'exprimer
Le procureur Étienne Manteaux a présenté son réquisitoire définitif en mai 2024. Photo MS.

Jusqu’en janvier 2017, la clinique subit au moins un arrêt cardiaque inexpliqué par an, avec une accélération en 2016, où sept cas d’empoisonnements présumés sont constatés. En mars 2017, Frédéric Péchier est mis en examen avec une interdiction de pratiquer une anesthésie. Plus aucun arrêt cardiaque inexpliqué lors d’une anesthésie n’a été constaté à la Clinique Saint-Vincent.

Une fréquence de décès six fois supérieure à la normale

Dans son réquisitoire, le parquet s’appuie sur l’anormale fréquence de ces EIG. Selon plusieurs experts penchés sur le dossier, la moyenne des EIG provoqués par un arrêt cardiaque lié à l’anesthésie d’un patient et suivi d’un décès, est au niveau national d’un cas pour 100 000 anesthésies. À la Clinique Saint-Vincent durant 8 ans, 27 empoisonnements présumés ont été identifiés dont 12 mortels pour 172 000 anesthésies. « En se basant sur les moyennes nationales, nous devrions constater moins de deux morts à la suite d’une anesthésie sur cette période au lieu de 12 », argumente Étienne Manteaux.

Entre 2008 et 2017, sur les deux établissements touchés, les enquêteurs ont recensé 1514 personnes susceptibles d’avoir eu accès aux salles d’opérations. « Frédéric Péchier est la seule personne présente dans les établissements au moment des 30 empoisonnements présumés, à l’exception de celui du 22 juin 2009 ».

Pour les 30 arrêts cardiaques et/ou hémorragies retenus, des traces de potassium, mépivacaïne, lidocaïne, adrénaline, héparine ont été retrouvées. Interrogé, le médecin a reconnu qu’un seul cas pouvait être lié à un empoisonnement, celui de son patient, le 20 janvier 2017, commis selon lui par l’un de ses confrères avec qui il serait en conflit.

Nombre de ces EIG ont généré des revues de mortalité et morbidité (RMM). Une analyse clinique où plusieurs professionnels tentent de comprendre les raisons du décès d’un patient. Tous les collègues du docteur Péchier participaient, sauf lui. « Sa parole était pourtant essentielle lors de ces revues pour faire progresser ses collègues mais aussi parce que c’est lui qui identifiait souvent les causes de l’arrêt cardiaque en se montrant très efficient. Interrogé sur ce point, le mis en examen a justifié son absence par une charge de travail trop lourde ».

Les enquêteurs ont enfin démontré lors des différentes perquisitions que le médecin prélevait en toute illégalité des produits anesthésiques, poches d’hydratation ou encore produits morphiniques à la Clinique. Il s’est justifié en expliquant vouloir soigner sa fille. Adoubé par certains de ses collègues, considéré comme un « magouilleur de première » par d’autres, l’anesthésiste-réanimateur Frédéric Péchier.

Depuis 2017 et l’ouverture de l’enquête, Frédéric Péchier a plusieurs fois changé de version pour se défendre face aux questions des enquêteurs et du juge d’instruction. Il s’est toujours dit innocent des faits que l’accusation lui reproche. Au départ de cette enquête, il n’a admis qu’un seul réel empoisonnement parmi tous ces EIG-là retenus, celui de son patient, Jean-Claude Gandon, orchestré selon lui par son ami devenu son plus grand ennemi dans cette affaire, le Dr Sylvain Serri. Des années plus tard, au fil des gardes à vue, interrogatoires et mises sur écoute, Frédéric Péchier reconnaîtra « la dimension criminelle » d’autres cas.

Ce 8 septembre, l’accusé est accompagné de Me Randall Schwerdorffer, qui malgré ses récentes menaces de se retirer face à l’inéquité dans l’attribution de l’aide juridictionnelle, sera bien là. Avec eux, un second avocat parisien est présent, Me Lee Takhedmit. Frédéric Péchier reste présumé innocent et comparaitra en homme libre. Ce 8 septembre, c’est aussi et surtout un début de justice pour toutes les victimes d’empoisonnement et leurs proches, qui attendent une réponse. Parmi eux, ils sont nombreux à s’attendre à un second procès, en appel.

M.S