Besançon. Anne Vignot : « changer de modèle de société prend du temps et demande une vraie rupture »

Candidate officielle à sa propre succession, la maire de Besançon Anne Vignot veut poursuivre une transformation de la ville engagée depuis 2020, jonchée de crises successives. Entre divergences au sein de la gauche bisontine et austérité annoncée, l’élue veut « consolider » son projet avec un second mandat. Interview.

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Anne Vignot, la Maire de Besançon, lors de la déconstruction de l'ancienne maternité. ©YQ

Divergences au sein de la majorité au conseil municipal, interview de Dominique Voynet qui tacle le PS, tensions au niveau national entre différents membres du NFP… Drôle de période pour annoncer sa candidature, non ?

J’ai tendance à penser que le public s’interroge sur beaucoup de choses mais pas la rentrée politique. Ils sont un peu obligés avec des oppositions qui ne cessent de parler de ça. Je ne m’étais pas inscrite là-dedans, mais maintenant c’est fait et je le confirme.

Cette annonce est une manière de couper l’herbe sous le pied à un potentiel autre candidat qui souhaiterait incarner la gauche à Besançon ?

Ce n’est pas aussi sec que ça, il fallait y répondre de manière claire aux sollicitations. En 2018 j’ai annoncé très tôt que notre projet avait une approche écologiste sur le temps long. Dans notre idée, la crise climatique est intimement liée à la crise sociale et crise économique. Il y a des changements à apporter, notre modèle de société est à bout de souffle. Il est urgent de le changer. À Besançon, notre force est de le faire avec des actions concrètes, des perspectives et solutions pour l’avenir. Le pire, ce serait de présenter aux habitants des politiques qui pensent être crédibles en assurant que la ville va mal, que rien n’avance. Encore faut-il travailler dessus pour y répondre et cela passe par une vraie rupture. Je suis dans cette logique-là, et je le serai toujours.

Ça veut dire qu’une partie du PS, selon vous, a abandonné cette idée ?

C’est difficile de parler au nom d’un parti politique mais on voit bien que le PS vit un questionnement profond sur son modèle, comme la société. On attend d’ailleurs leur congrès pour voir leur ligne politique, au niveau national. En face de moi j’ai différents représentants. Dans mon équipe j’ai des socialistes qui ne sont pas tous sur le même modèle, comme chez nous.

On parle beaucoup de tensions avec Nicolas Bodin mais vous avez aussi un 1er adjoint (Abdel Ghezali) et des élus PS à d’autres postes clés…

Abdel Ghezali est un homme politique loyal et travaille de manière constructive. Ces deux caractéristiques sont essentielles. Parfois nous ne sommes pas d’accord, on peut même s’engueuler ! Pour autant son objectif, comme le mien, c’est de toujours rester sur l’intérêt général. Je n’ai jamais dit que nous aurions une équipe qui pense de la même façon, une société est composée de plusieurs manières de penser et de parcours de vie différents. Voyons sur quoi nous pouvons converger et comment le faire avec un programme commun. Les crises et guerres successives ont poussé notre majorité à réajuster le programme en permanence. Les grandes lignes restent pour autant de gauche, la dimension sociale, l’éducation, l’aménagement de l’espace public pour l’avenir, une culture plus ouverte sur les quartiers prioritaires, des écoles mieux accompagnées.

Anne Vignot, maire de Besançon et Abdel Ghezali, adjoint en charge des sports avec la mascotte des JO. ©YQ

Et l’économie avec les zones d’activités économiques par exemple ?

J’ai toujours dit à Nicolas Bodin qu’il fallait partager l’idée qu’à un moment donné, nous n’aurions plus de foncier disponible et qu’il fallait se préparer à une manière de dire non et sur quel(s) critère(s). Il ne faut pas attendre de repousser le sujet dans 5 ans ou 10 ans, c’est aujourd’hui. Je voulais anticiper une situation inévitable et nous n’étions pas d’accord là-dessus. Aujourd’hui l’arrivée future du SCOT (Schéma de cohérence territoriale) permet d’établir une planification discutée en collectif et pas seulement par la pensée de l’un ou l’autre.

Un premier mandat pour construire cette idée, un second pour consolider les bases, donc. Comment fait-on quand on est totalement ou presque tributaire de l’argent que veut bien redistribuer l’État à la collectivité ?

On est déjà en train de recalculer la planification de nos investissements par rapport aux économies annoncées. Derrière, nous aurons aussi des questions sur le fonctionnement de la Ville. Revoir la priorité des projets, ça ne veut pas dire abandonner les autres, ils seront simplement lissés sur le temps long.

Cela signifie qu’en cas de réélection, la transformation de la Ville de Besançon s’intensifierait ?

Par exemple, quand on a décidé de mettre 10 millions d’€ par an pour la transformation des écoles, l’évolution des coûts liés à l’inflation et aux prix des matériaux ont poussé notre équipe à lisser cette transformation, ça ne veut pas dire qu’on abandonne une idée essentielle. Dans nos futures orientations, il faut continuer à transformer l’espace public, planter des arbres, envisager une culture plus ouverte sur les quartiers prioritaires, développer les pistes cyclables… Nous sommes toujours dans une démarche participative avec la population, de ce point de vue-là c’est beaucoup plus démocratique et rien n’empêche cette orientation. Cependant le budget potentiellement restreint freine inévitablement son envergure. Les pistes cyclables sont demandées dans toutes les villes, par des milliers d’habitants. Partager l’espace public entre toutes les mobilités est un arbitrage que certains ont du mal à comprendre.

À l’inverse sur le quartier Battant par exemple, beaucoup de gens auraient souhaité une amélioration de la sécurité plus rapide, plus forte ?

Nous avons fait des réunions, échangé avec les gens concernés. Mettre en sécurité le public vis-à-vis de la circulation en voiture répondait à la demande de la population. Les habitants de Battant sont très contents des changements. Les commerces aussi, même si tous ne parlent pas à la presse. Le travail continue avec les autres strates de l’État pour apporter une qualité de vie. La fermeture des épiceries de nuit après 22h a été saluée. C’est un travail de fond, on ne débarque pas avec les forces de l’ordre pour faire le ménage et dire « c’est réglé ». Il n’y aura pas une caméra supplémentaire à Battant. On prend un problème de façon systémique pour le changer. Ça demande d’agir sur tous les leviers avec des acteurs concernés.

Rémi Bastille Préfet du Doubs, Anne Vignot Maire de Besançon, Anne Genetet ministre de l’éducation nationale, Gil Avérous ministre des sports, de la jeunesse et de la Vie associative, écoutent les explications d’un encadrant du Centre des Cultures Urbaines de Besançon ©YQ

Ça demande aussi un accompagnement humain et financier de l’État…

Avec Mr.le Préfet, on se rend compte que l’action de l’État n’est pas proportionnelle aux besoins à Besançon. Par exemple, quand des ministres visitent le CCUB (vendredi 25 octobre,ndlr), ils trouvent cet exemple génial, j’en suis ravie, car ça s’appuie sur le travail d’associations comme l’ASEP. Si nous ne pouvons plus soutenir cette association alors qu’elle est en difficulté, elle disparaîtra. Sur ce sujet au passage, l’absence d’un ministre dédié aux quartiers prioritaires est déjà un mauvais signal. Cela étant dit, nous avons désormais la chance d’avoir un Préfet concerné par notre territoire et ses enjeux.

Vous avez des leviers fiscaux réduits mais qui pour l’instant n’ont pas été augmentés. Ça restera comme ça au prochain mandat ?

Je ne peux pas la savoir, si on me demande des économies qui mettent en péril nos services, il faudra qu’on regarde. Il y a des élus nationaux qui font de la provoc’ en vendant leur patrimoine mais d’autres disent clairement qu’avec les économies annoncées, leur collectivité n’agira que sur les compétences dont elle a la responsabilité. On est à l’encontre de cette idée, mais à Besançon cette manière de penser pourrait toucher le périscolaire. La Ville n’a pas d’obligation particulière à accorder ce service-là. On sait néanmoins que les familles ont besoin de ce temps, c’est essentiel. C’est une trajectoire sociétale et si demain il faut recentrer les investissements sur nos compétences, ça peut donner ce genre de raisonnement simpliste. Ça peut arriver avec les conditions de ce gouvernement.

Tous vos opposants dans la course aux municipales 2026 ont commenté votre annonce de candidature, comment voyez-vous cela ?

Ils voient peut-être que leur maire est déterminée et sait où elle va avec son équipe compétente. Avoir des avis différents au sein d’une même équipe est une bonne chose, heureusement, sinon ce serait une dictature. Ce qui reste important c’est la loyauté et la ligne que l’on veut défendre. Si notre équipe se délite, ce sera dramatique.

Quelle place allez-vous accorder à la France Insoumise et comment ces deux camps sont passés en six ans d’une absence d’accord à une volonté de travailler ensemble ?

Beaucoup de choses, un intérêt commun de rupture autour d’une société qui a besoin de se régénérer car elle n’arrive plus à répondre aux besoins des habitants. Mais cette volonté est aussi partagée par d’autres personnes de gauche qui ne sont pas LFI ! On veut une société solidaire. Entre un social-démocrate et un LFI, il y a une panoplie de solutions, c’est une chance, que les écologistes peuvent porter. La ville est un lieu d’innovation sociale, allons-y ! Ça se traduira par notre futur programme.

Vous répétez être une candidate différente, qui n’a pas eu de formation politique. N’avez-vous pas le sentiment d’avoir été prise au piège par un monde que vous ne maîtrisez pas ?

Prise au piège je ne sais pas, mais je refuse d’attaquer les oppositions comme elles le font. Je n’ai pas décidé d’être politicienne comme ils le sont. Je ne souhaitais pas m’inscrire dans cette espèce de conformisme du politique qui doit constamment attaquer l’autre, au-delà des idées. Dans la crise politique que nous traversons, les habitants ont peut-être l’impression que montrer une forme de virilité est un signe de force, mais ce n’est absolument pas mon cas. Je suis une femme déterminée, je le resterai et suis sûre que cela est plus utile que crier fort et attaquer sans cesse. On a néanmoins besoin de mieux faire connaître nos actions aux habitants et surtout les compétences que nous gérons. La société, nourrie d’une surconsommation, s’est persuadée que les collectivités devaient avoir plus de services avec de moins en moins d’impôts. Une ville c’est comme un foyer, quand il n’y a plus d’argent, on se recentre vers l’essentiel. Si des choix doivent être fait, il faudra les partager.

Vous avez l’ambition d’être plus qu’une maire ?

Je n’avais jamais pensé à être maire, c’est déjà bien !  J’ai toujours cru qu’un député était un homme qui travaillait la loi, les règles, de manière profonde et minutieuse. Depuis le début de mon mandat je me suis rendu compte que ça pouvait être un poste assez simpliste. Vous rencontrez quelqu’un qui a un problème, vous écrivez un courrier à la mairie, vous ne manquez surtout pas de le dire ensuite pour montrer que vous agissez. Je n’avais jamais imaginé que c’était aussi simple d’être député ! Ça me rassure donc de voir Dominique Voynet, car je sais qu’elle fera tout l’inverse et se plonge pleinement dans ses dossiers, son parcours parle pour elle. Avec Dominique, j’ai enfin un vrai interlocuteur, comme j’ai un vrai préfet aujourd’hui. J’ai besoin de gens qui travaillent, pas de ceux qui écrivent des courriers pour savoir s’il faut boucher des trous sur les trottoirs. Quand je demande des solutions à Mr.Fagaut ou Mr.Croizier, je n’ai pas ou peu de réponses concrètes. Aujourd’hui je veux agir pour ma ville et personnellement, depuis que je suis grand-mère, c’est un peu primaire, mais je ne peux pas rester sans rien faire pour offrir à mon petit-fils un futur avec une qualité de vie sur une planète saine.

Propos recueillis par M.S