Depuis vendredi 8 septembre à Besançon Zineb Zemmahi-Tirel traîne un sentiment d’inquiétude et de tristesse. Au Maroc, ses proches vont globalement bien, la plupart sont installés à Rabat, la capitale éloignée du secteur touché par le dramatique séisme. Pour elle, comme pour des milliers de marocains installés en France ou de Français ayant des origines marocaines, c’est le royaume qui a été frappé par cette terrible catastrophe naturelle. On dénombre pour l’heure 2900 morts et plus de 5500 blessés. Les dégâts s’étendent de Safi sur la côte, à Ouarzazate plus au centre, jusqu’au sud d’Agadir.

Depuis samedi, quatre états ont dépêché des équipes sur place. Plusieurs dizaines de pompiers secouristes et membres de l’unité militaire d’urgence espagnole travaillent aux côtés des locaux. « La grande difficulté réside dans les zones éloignées et difficiles d’accès, mais les blessés sont héliportés. », a déclaré la cheffe de l’équipe espagnole, Annika Coll, à l’AFP et au Monde.

Quatre pays au chevet du Maroc

Des équipes de Grande-Bretagne, du Qatar, des Émirats Arabes Unis sont également là. Concernant le renfort français, les analyses géopolitiques divergent. Si officiellement le gouvernement marocain souhaite faire « une évaluation minutieuse des besoins sur le terrain et en tenant compte du fait qu’une absence de coordination pourrait être contre-productive », (NDLR : déclaration du gouvernement lundi 11 septembre), la situation politique entre les deux pays s’est dégradée depuis plusieurs années et pourrait expliquer ce choix de collaborer d’abord avec d’autres nations officiellement. (Voir encadré )

Tensions politiques entre la France et Maroc
Il y a d’abord ces révélations en 2021, quand 17 rédactions du monde entier révèlent le scandale Pegasus, un logiciel permettant d’espionner n’importe quelle personne ou presque dans le monde, sur commande. Le Maroc aurait utilisé ce programme sur plusieurs personnalités françaises. Quelques mois plus tard, la France annonce une réduction de visas de moitié pour les ressortissants marocains, provoquant la colère dans le royaume. Une restriction finalement levée en décembre 2022 par Catherine Colonna, ministre des Affaires étrangères. Enfin la question du Sahara occidental, territoire revendiqué par le Maroc depuis 48 ans pour lequel l’Algérie soutient les indépendantistes du Front Polisario avec une aide politique et militaire. Le gouvernement français ne s’est pas clairement positionné sur ce conflit au Maghreb et s’est même rapproché de l’Algérie depuis plusieurs mois. Il n’y a plus d’ambassadeur français au Maroc depuis janvier 2023. À l’inverse, Israël qui a reconnu officiellement le Sahara occidental comme territoire marocain depuis quelques mois, a pu envoyer plusieurs hommes aider le royaume après le séisme. Toutefois les ONG de l’Hexagone ont pu agir, comme le Secours Populaire. La France a octroyé une aide supplémentaire de 5 millions d’euros pour permettre aux associations tricolores d’agir au Maroc, selon Catherine Colonna. 

Une cagnotte à Besançon

Dans le Doubs comme ailleurs en France, les appels aux dons se multiplient malgré la non-collaboration officielle entre les deux gouvernements. À Besançon, la Ville a immédiatement mis en place un site internet en partenariat avec une quinzaine de personnes réunies autour du collectif bisontin de soutien au peuple marocain. Un RIB sécurisé est disponible pour verser de l’argent. Le porte-parole, Jaouad Amarouch est également le président de la mosquée de Planoise. Une délégation du collectif bisontin doit se rendre sur place prochainement pour remettre en main propre les dons récoltés, financiers uniquement. Sur place, les besoins précis ne sont pas encore évalués et acheminer du matériel sur place est trop compliqué pour le moment. Surtout, les sommes récoltées doivent permettre d’aider sur la durée. D’autres personnes lancent des appels à leur échelle, comme l’ancien lutteur bisontin Mehdi Messaoudi, sur ses réseaux sociaux.

Haut-Doubs : Emmaüs Les Fins donne 3000 €

La Croix Rouge de Pontarlier répond à l’appel national et des dons peuvent être déposés, place Jules Pagnier. L’association estime avec le Croissant Rouge que la somme nécessaire pour répondre aux besoins urgents est de 105 millions d’€. À Villers-le-lac, Isabelle et Claude Croissant sont directement touchés par ce drame. Propriétaires d’une maison à Taroudant, ville du Sud-Ouest située dans la plaine de Souss, le couple prend l’avion ce mercredi 13 août pour venir en aide sur le terrain, auprès de leurs amis et voisins. C’est par un appel sur les réseaux sociaux que l’association Emmaüs aux Fins s’est rapprochée du couple : « ils ont lancé un appel aux dons en expliquant leur histoire. On a d’abord fait le tour des pharmacies ici pour récupérer du matériel ici en l’envoyer avec eux. Le conseil d’administration de l’association s’est réuni en vitesse lundi soir pour accorder un don de 3000€. Nous connaissons ce couple et savons qu’ils aideront directement la population sur place », confie Edith Vieille, l’une des responsables de l’antenne.

 À Taroudant, l’hôpital provincial au cœur de du séisme

Taroudant est aussi la ville de Laila Zemmahi, la sœur de Zineb, pharmacienne, présidente de l’organisation marocaine pour la protection de l’enfance et membre de l’association des médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes de Taroudant. Ici l’hôpital provincial accueille des victimes de toute la région et fait partie des premiers points centraux pour aider la population.  Laila Zemmahi a rejoint bénévolement l’établissement depuis la catastrophe, comme des dizaines d’autres professionnels de santé. « Toutes les quatre heures, il y a un roulement. Les deux premiers jours étaient terribles, pour l’organisation mais y compris au niveau psychologique. Néanmoins, la population a très vite réagi, l’État aussi et aujourd’hui la solidarité permet de soutenir un maximum de victimes. À l’hôpital, nous avons reçu énormément de dons de médicaments que nous distribuons gratuitement aux gens. Devant l’entrée, une immense tente a été installée pour permettre aux victimes sans-abri de dormir et se nourrir, le temps de trouver une autre solution plus stable. ». Ici, à l’instar de Marrakech et d’autres communes de la région touchée, le minaret et la mosquée se sont effondrés, tout comme des remparts de la cité, vieux de plusieurs siècles.

« Dans son lit, ma fille s’est retrouvée projetée au sol »

Autour de Taroudant, la province est la plus grande du pays avec 89 communes et une superficie de 16 000 km2. « Nous ne sommes pas dans la zone la plus touchée et pourtant, le choc est inimaginable. Il était près de 23h vendredi, avec mon mari et mes filles, nous avons entendu comme des explosions. », raconte Laila. « J’ai pensé à une attaque, que l’on entrait en guerre. Le bruit était tellement assourdissant, il venait de la terre d’une manière si puissante… Ça a duré 38 secondes exactement, les plus longues de ma vie. Je n’ai pas les mots pour expliquer comme notre maison a bougé. On partait de mur à mur, ma fille dans son lit s’est fait projeter au sol, une autre s’est retrouvée avec le pied bloqué par un placard. »

Des secousses jusqu’à Casablanca

Le choc fut tellement violent qu’au Maroc, quelques personnes sont mortes d’une crise cardiaque après le séisme. Les secousses ont été ressenties jusqu’à Casablanca comme raconte Khadija Ed Dahabi, professeur des écoles : « plus que le tremblement, le bruit est terrifiant comme si la terre était en colère. Ici la population se mobilise pour préparer des dons et le Roi a mis un place un RIB pour que chacun puisse verser de l’argent. ». Mohammed VI s’est également rendu à Marrakech ce mardi 12 septembre, au chevet des victimes, mais des dizaines de Douars, ces regroupements d’habitations au Maroc, sont détruits et encore inaccessibles ou presque par les équipes de sauvetage. « Les gens sur place entendent des voix sous les décombres du côté d’ImiN’Tala », poursuit Khadija, qui échange avec des habitants depuis plusieurs applications mobiles, en direct.

La solidarité s’est immédiatement mise en place avec des tentes montées pour accueillir la population. PHOTO DR

« Un traumatisme qui va laisser des traces pour nos enfants »

À Taroudant, Laila et son mari Fayçal Benhalima partagent leur temps entre l’hôpital, l’aide aux sinistrés et leurs filles, terrorisées depuis. « La plus petite à 6 ans et s’est urinée dessus sans s’en rendre compte quand la grande de 11 ans a vomi plusieurs fois. Elles ont changé depuis quelques jours, le soir du séisme je les ai emmenées chez des amis avec une maison de plain-pied et nous avons essayé de dormir dans le jardin, sur des transats. » raconte Fayçal. « Cet aspect n’est pour le moment pas vraiment visible mais sur le long terme, ça risque de prendre beaucoup plus de temps à réparer et soigner. C’est aussi le cas pour d’autres enfants, qui ne sont parfois pas blessés physiquement mais psychologiquement. À l’hôpital, beaucoup ont besoin de parler, de comprendre. La moindre porte qui claque fait sursauter tout le monde dorénavant. Aujourd’hui, j’ai la chance d’avoir encore toute ma famille, ce qui n’est plus le cas d’une grande majorité de victimes à l’hôpital. Plus vous vous éloignez de Taroudant pour vous rapprocher de l’épicentre du séisme, plus la situation est critique. À certains endroits, ce sont des enterrements de maisons avec les personnes à l’intérieur », poursuit Laila. Ici, contrairement à d’autres secteurs du Haut-Atlas, l’eau et l’électricité sont revenus rapidement.

Dans les secteurs sécurisés, les livraisons arrivent en masse

Le gouvernement marocain a activé un plan d’urgences et les moyens sont arrivés heure après heure sur place depuis vendredi 8 septembre. Le roi Mohammed VI a demandé au gouvernement d’étudier les possibilités de relogement et de reconstructions rapides pour héberger les victimes. « L’État fait tout ce faut pour que personne ne manque de rien et tous les Marocains sont unis pour aider. », assure Laila. « J’ai reçu une centaine d’oreillers et des dizaines de matelas lundi 11 septembre. Cette solidarité fait chaud au cœur. On est aussi déjà dans l’action pour préparer l’après, des milliers de personnes n’ont plus rien et plus de famille. », poursuit la pharmacienne volontaire. L’hiver approche et les températures chutent très rapidement dans les montagnes de l’Atlas.

Coordination entre hôpitaux et cliniques privées

À l’hôpital de Taroudant, plus de 600 victimes ont été enregistrées entre samedi et lundi matin. « Les cas les plus graves sont transférés à Agadir ou dans d’autres centres avec plus de matériel. Ici, par exemple, nous n’avons pas de neurochirurgie. Il y a une très bonne coordination entre les cliniques privées et les hôpitaux publics pour une prise en charge rapide. Des dizaines de médecins et soignants sont venus bénévolement aider. Depuis lundi soir, on a retrouvé un fonctionnement plus stable, mais on se prépare à accueillir de nouvelles personnes. », confie un médecin sur place.

De nombreux Douars sont encore bloqués et les sauveteurs tentent d’y accéder. Les hélicoptères ne peuvent pas non plus se rapprocher trop près, au risque de provoquer des éboulements. PHOTO DR

« Il y a toujours de l’espoir »

Vétérinaire, Fayçal Behalima prévoit avec d’autres collègues de se rendre dans les montagnes une fois les routes dégagées et la situation plus sécurisée. Pour l’heure avec Laila, les parents ont choisi de préserver leurs enfants. « Il n’y aura pas de retour à l’école pour le moment, au moins quelques jours pour essayer de retrouver une vie normale. Ça ne sert à rien de les laisser seules avec d’autres enfants traumatisés et de ne parler que de ça. On essaye d’être au maximum à la maison et j’ai cotisé sur un compte pour faire des dons aux victimes. » Les détails des besoins se précisent aussi et les sauveteurs comme la cheffe de l’unité espagnole Annika Coll, ne perdent pas espoir de retrouver encore des habitants en vie, malgré le temps écoulé depuis le séisme. « Par exemple en Turquie (un séisme a détruit une partie du pays en février 2023), nous avons réussi à trouver une femme vivante après six jours et demi. Il y a toujours de l’espoir » (répondant au correspondant du Monde Alexandre Aublac).

M.S