Visage creusé, gorge nouée, André Mathey se sent de plus en plus faible dans son atelier. Depuis le 5 avril, l’artisan en sellerie a entamé une grève de la faim face à l’absence de réponses des différents organismes publics. « J’ai tout fait pour être entendu, personne ne m’a écouté. C’est un choix difficile mais je tiendrai quoi qu’il arrive ».
Après une courte carrière dans l’armée comme sous-officier mécanicien, André Mathey multiplie les différents emplois avant de devenir cordonnier. Une révélation pour lui qui décide de poursuivre dans cette voie en spécialisant en sellerie. En 2017, il créé Andreas Corso, son second atelier. Une microentreprise où l’artisan restaure selles et sacoches de motos, sièges et intérieur de voitures anciennes. Le bouche à oreille et les multiples salons et foires lui permettent d’étoffer son carnet de commandes. Des événements brusquement annulés ou reportés à partir de 2020. » Contraint de déménager de mon grand local de Chouzelot fin 2020 pour sortir des baux commerciaux et économiser plus de 10 000 euros sur un an, j’ai trouvé une maison à louer ou j’ai fait mon atelier au sous sol, en bas de chez moi ; avec la pandémie je pouvais continuer d’honorer les commandes déjà passées par les clients. Mon chiffre d’affaires a doublé entre 2019 et 2020. Pour l’année 2021 par contre, c’était catastrophique. »
Pas d’aides de l’État et une crise sanitaire qui enraye les commandes
André Mathey ne retrouve pas un niveau de clientèle suffisant et garde une activité très partielle tout en continuant de payer ses charges. « J’ai continué pour finaliser les commandes en cours, les pouvoirs publics m’ont expliqué que je n’avais pas le droit aux aides liées à la crise sanitaire car ne rentrant pas dans les cases administratives. Avec la baisse des minima sociaux et mes revenus, mes aides, APL, prime d’activité, RSA, ont été recalculées, je suis passé de plus de 200€/mois à 28€, autrement dit, rien. En 2020, j’ai réussi à tirer un bénéfice net imposable d’un peu plus de 9000€ contre 7095€ en 2021. Lissé sur l’année c’est entre 750 et 580€ de salaire mensuel alors que mes charges, elles, continuent de tomber. »
La conjoncture économique actuelle et le prix des matières premières sont arrivés comme un coup de massue supplémentaire, anéantissant les dernières possibilités de remonter la pente seul.
André Mathey contacte à partir d’août 2021 tous les organismes publics possibles pour obtenir de l’aide. Formulaire après formulaire, rendez-vous après rendez-vous, les mois passent et rien ne change. L’artisan monte même jusqu’à l’Élysée, en vain. « Je n’ai pas eu d’autre solution que cette grève de la faim. En comptant sur la médiatisation de ma situation, les choses peuvent s’accélérer. » Depuis le 5 avril dernier, l’habitant de Rouhe a perdu 12 kilos et continue de travailler malgré son hypotension.
La médiatisation redonne de l’espoir
L’espoir renaît une première fois lorsque son histoire arrive à l’oreille du boulanger Stéphane Ravacley, dont la notoriété est née d’une grève de la faim pour ne pas perdre son apprenti. « Nous avons établi ensemble une manière de procéder, il m’aide dans mon combat en me conseillant et prend des nouvelles régulièrement. » Quelques jours plus tard c’est l’Urssaf qui contacte André Mathey. Aucune charge ne lui sera prélevée pendant deux mois et l’organisme a annoncé qu’il bénéficierait de 2000 € « le plus rapidement possible » et d’une inclusion dans le plan d’appurement du 1er trimestre 2022. Une bonne nouvelle qui n’arrête pas pour autant sa grève de la faim.
« L’assistante sociale missionnée par le département n’a aucun pouvoir pour faire avancer les choses au niveau de la CAF. J’ai envoyé un courriel à la CAF, ainsi qu’à toutes les administrations pour leur signifier le début de ma grève de la faim. J’attends d’obtenir une réponse concrète comme pour le RSA, APL, prime pour l’emploi. Le préfet au courant de ma situation, débloque bien des fonds pour les pauvres ukrainiens, pourquoi pas pour moi ? »
Pour le soutenir un peu plus, André Mathey trouve aussi dans sa boîte aux lettres des messages d’habitants soutenant son combat. Samedi 16 avril, c’est même un don 100€ qui est arrivé à l’atelier, accompagné de ce petit mot « […] permettez-moi de vous aider, sans aucune contrepartie. Bon courage. […] ».
Martin Saussard