A 33 ans, Claire Guyon veut proposer une agriculture bio en circuit court.

Une petite centaine de personnes ont répondu présent à l’appel de Claire Guyon ce samedi 7 mai. La jeune agricultrice au cœur d’un double combat judiciaire face à trois communes inaugurait son alpage de la ferme de la Boivine situé à Rochejean. L’occasion de présenter toutes les difficultés qu’elle connaît pour exercer son activité, depuis son lancement.

Sa famille originaire de Frasne, Claire Guyon grandit à Mouthe et devient en 2013 bergère salariée. « J’avais vraiment envie de faire ces alpages français avec de la traite et de la transformation fromagère. », explique l’intéressée. Elle décide de se lancer seule en 2019 avec un projet : dix vaches laitières pour de la transformation fromagère, mise en place d’une transhumance (NDLR : migration périodique du bétail entre les pâturages d’hiver et les pâturages d’été) en alpage l’été et un atelier de poules pondeuses. De l’agriculture bio, en vente directe.

Une pratique sur un territoire où les acteurs du monde agricole apprécient les projets extérieurs à la filière Comté. Un moyen de réduire aussi sa dépendance.

La course au foncier

La jeune femme constitue une exploitation d’un peu plus de 9 hectares. Réparties sur Frasne et deux parcelles privées à Vaux-et-Chantegrue elle rachète la ferme de sa tante. « Pour s’installer à titre principal, il faut au moins 12,5 hectares de terrain. », explique l’agricultrice de 33 ans. En France la surface moyenne d’une exploitation est de 70 ha.

En France la surface moyenne d’une exploitation est de 70 ha

Pour obtenir le terrain manquant, Claire Guyon sollicite l’aide de sa commune. Elle souhaite louer une parcelle supplémentaire d’environ cinq hectares. Les élus refusent en 2019, il faut une cession d’une exploitation pour reprendre des terres du village.

Coup de chance en décembre de la même année, un agriculteur et conseiller municipal de la commune part en retraite : l’opportunité est parfaite.

L’exploitation agricole en question compte 83 hectares dont 43 de terrain communal. Le bail est cédé à une autre agricultrice, ancienne apprentie du propriétaire. Claire Guyon tente de négocier, en vain. « Elle n’est pas ouverte au partage et les élus m’ont expliqué qu’ils refusaient parce que je n’avais pas le statut d’agricultrice au titre principal. Or pour l’obtenir, il me faut ces 12,5 hectares de terrain ! C’est le serpent qui se mord la queue. », soupire-t-elle.

Enchaînement de recours

La bergère tente un recours auprès de la direction départementale des territoires (DDT), pour « forcer » le partage. La commission refuse à nouveau sa demande, donnant la priorité à l’actuelle propriétaire. Elle insiste auprès du tribunal administratif qui rend son verdict ce jeudi 5 mai 2022 : la requête est juste, mais l’avis reste défavorable. La décision du tribunal administratif a été mise en délibéré. Une nouvelle réponse est attendue dans dix jours.

La ferme de la Boivine, nerf de la guerre

A l’époque de son premier recours, comme l’a rappelé le rapporteur devant le tribunal administratif, Claire Guyon n’était pas agricultrice au titre principal. Ce qu’elle est devenue depuis, après un autre combat autour de la ferme de la Boivine, lieu de rendez-vous ce samedi 7 mai.

Cet alpage mis en vente en 2020 par la SAFER  (société d’aménagement foncier et d’établissement rural) est situé à 1 220 m d’altitude sur la route menant au Mont-d’Or. Le lieu compte un chalet entouré d’un bois et d’une prairie pour au total 22 hectares de surface.

Claire Guyon

La jeune femme monte un dossier béton : un projet de transhumance, rénovation du lieu, attractivité touristique, écologique et agricole.  « Je savais que les communes de Rochejean et Labergement-Sainte-Marie étaient candidates et que l’option publique est préférée à l’option privée. », glisse l’intéressée qui se rapproche alors du maire de Rochejean, Eric Penzes. « J’étais prête a laissé l’alpage s’il acceptait de me louer le terrain. Dans son dossier de candidature, l’élu a donc utilisé ma photo, mon dossier. La SAFER était ravie, l’exploitation reste dans le domaine public et répond en même temps à mon problème. »

« Un dossier très mal conduit »

Rochejean se voit attribuer l’alpage et surprise, au conseil municipal suivant, les élus votent à l’unanimité contre le projet de Claire Guyon. Ce samedi 7 mai, lors de la manifestation à la ferme de la Boivine, le premier magistrat a tenté de s’expliquer : « Le déroulement juridique du dossier a été très mal conduit. Cette procédure a pour but de clarifier la situation, que l’installation soit inattaquable. Je me dois de faire respecter les lois, je n’ai rien contre Claire, j’espère qu’elle portera son projet jusqu’au bout. »

Révoltée, Claire Guyon engage un nouveau recours auprès de la SAFER. Derrière elle, le propriétaire du terrain et la dernière exploitante, une suissesse retraité autrefois bergère avec qui l’agricultrice de Vaux-et-Chantegrue a passé un accord à l’amiable. La SAFER revient sur sa décision et attribue la ferme de la Boivine à Claire Guyon. Une première victoire, en janvier 2021.

La commune de Rochejean répond par un autre recours : elle ne souhaite pas voir ses terres communales partir dans le domaine privé. De son côté, la SAFER reste sur sa dernière position.

Une double assignation en justice qui pose question

Avril 2022, nouveau coup de théâtre : dans sa boîte aux lettres Claire Guyon reçoit deux assignations en justice. La première émane de la commune de Rochejean et de Labergement-Sainte-Marie, réunies pour faire annuler la rétrocession. La seconde, dix jours plus tard provient de la bergère. Elle souhaite faire annuler l’acte de vente entre Claire et le propriétaire. « J’ai des doutes sur l’instrumentalisation de cette deuxième assignation. Cette bergère utilise d’autres terres appartenant à la commune de Rochejean et ses avocats sont les mêmes que ceux des deux villages. »

Malgré ces longs combats administratifs et judiciaires Claire Guyon est officiellement propriétaire du lieu tant convoité. « J’ai reçu des aides financières, j’ai commencé à rénover le lieu je me suis lancée dans des projets conséquents. Si ses procédures aboutissent, je perds tout. » Pour la chambre d’agriculture, Claire Guyon exploite aujourd’hui 33 hectares.  Les prochaines décisions seront connues dans dix jours.

Martin SAUSSARD