La Ville de Besançon veut emprunter de « l’argent propre »

Travail unique en France, Besançon a engagé un travail de collaboration avec des ONG pour construire des critères de sélection sur les engagements climatiques et sociaux des établissements bancaires.

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François Laigneau (Directeur territorial de la Banque des Terrritoires), Michel Rouault (Directeur régional Grand Est de la Banque Postale), Antony Poulin (Adjoint à la Maire de Besançon chargé des finances), Anne Vignot (Maire de Besançon), Cecile Duflot (Directrice générale d'Oxfam) et Paul Schreiber (Chargé de campagne chez Reclaim Finance) lors de la signature des prêts "verts" à la Ville de Besançon ©YQ

La grille d’analyse a été adoptée en juin 2021 en conseil municipal. Le 21 janvier 2022, une première série d’emprunts a été débloquée, répondant à ces critères environnementaux et sociaux. C’était une promesse de campagne d’Anne Vignot : le souhait d’imposer aux établissements bancaires des stratégies de sortie des énergies fossiles. Lors de la signature des emprunts sur le site des Orchamps dont le gymnase fait partie des investissements engagés, la Maire de Besançon était entourée de  Michel Rouault, Directeur régional Grand Est de la Banque Postale, François Laigneau, Directeur territorial de la Banque des Territoires, Marine Gaucher, Responsable Grands comptes à la NeF, Cécile Duflot, Directrice générale de l’ONG Oxfam et Paul Schreiber, chargé de campagne à l’ONG Reclaim Finance.

Anne Vignot et le colibri

On se souvient de la légende amérindienne du colibri contée par Pierre Rabhi. Face au péril d’un incendie dans la forêt amazonienne, tous les animaux fuient le feu…sauf un petit colibri qui fait des allers-retours incessants entre un lac et le foyer, transportant dans son petit bec une goutte d’eau. Un tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! Le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part. »

La Maire de Besançon et son adjoint aux finances Antony Poulin, aux convictions écologiques et sociales bien affirmées, veulent être des colibris dans la « jungle » du monde bancaire !

La nouvelle grille d’analyse a été soumise aux établissements bancaires dans la négociation des 60 millions d’investissements sur la durée du mandat, destinés à la rénovation des écoles et des crèches, à la lutte contre les îlots de chaleur, la désimperméabilisation des sols et la rénovation énergétique des gymnases. Selon Anne Vignot « le rôle et l’impact des banques sont essentiels dans la transition énergétique. En soutenant des entreprises responsables des émissions de gaz à effet de serre, elles contribuent à la détérioration du climat de la planète. Nous souhaitons faire financer nos projets de transition écologique en nous appuyant sur des partenaires bancaires engagés dans la maîtrise et la réduction de leur empreinte climatique, c’est tout le sens des emprunts signés aujourd’hui ». La Maire de Besançon le confirme « Tous les établissements bancaires avec lesquels nous entretenons des relations ont salué positivement notre engagement et répondu favorablement à la grille d’évaluation. Une seule banque s’est interrogé sur le bienfondé de cette initiative, y voyant un format de culpabilisation ».

Une grille d’évaluation élaborée par deux ONG internationales

La présence aux Orchamps de Cécile Duflot (pour Oxfam) et de Paul Schreiber (pour Reclaim Finance) le 20 janvier était une sorte « d’appel aux autres collectivités de s’engager dans une démarche écoresponsable avec les banques, une sorte de moment historique » selon Antony Poulin l’adjoint chargé des finances de la Ville de Besançon.

La grille d’évaluation et le questionnaire développés par les deux ONG, répondent à trois critères :

La transparence financière. Les banques sollicitées doivent être engagées dans une démarche de lutte contre le blanchiment, la corruption et la fraude fiscale.
Les actions environnementales et climatiques en ne finançant plus la recherche, l’exploitation, la transformation et le transport des énergies fossiles.
Les actions en matière de responsabilité sociale par la lutte contre les discriminations, le soutien à l’emploi local ou l’égalité femmes-hommes.

Qui pourrait se plaindre de tels engagements ? On en notera toutefois les limites dans une économie mondialisée et interdépendante. Oxfam et Reclaim Finance ne sont pas non plus exemptes de critiques en matière de transparence financière et de responsabilité sociale.

Interrogée à l’issue de la réunion des Orchamps sur un millier d’emplois supprimés dans l’ONG qu’elle dirige en France, Cécile Duflot (qui fut ministre de l’écologie sous le mandat de François Hollande) s’est expliquée « Dans l’humanitaire, nos collaborateurs sont essentiellement en CDD de mission. Nous avons effectivement supprimé l’activité de nos bureaux dans certains pays du monde. Les salariés ont donc vu leur mission s’arrêter ». Même si elle souligne que certains ont pu être réaffectés à d’autres missions, elle admet « en creux » qu’une ONG « exemplaire » est bien obligée de se comporter comme une entreprise en supprimant des postes !

Reclaim Finance, quant à elle, est une ONG internationale créée en 2020 par Lucie Pinson, militante très engagée contre la filière du charbon. Selon Paul Schreiber, chargé de campagne dans cette ONG « on occulte très souvent une dimension essentielle de la transition : la nécessité de réduire notre consommation énergétique et de ressources en général… « . Il se base sur le récent rapport de l’ADEME visant plus ou moins clairement à la décroissance et au veganisme ! Ce qui n’empêche pas ces organisations humanitaires de surfer sans retenue sur internet et à utiliser les réseaux sociaux pour principaux vecteurs de leur communication. L’organisation Carbon Literacy Project a calculé qu’un mail standard génère 4g de CO² et il est envoyé plus de 300 milliards de mails chaque jour dans le monde… !

La Banque Postale, la Banque des Territoires et la Nef engagées dans la transition énergétique à Besançon
« Banque et Citoyenne », la Banque Postale, filiale de la Caisse des Dépôts, est le premier prêteur des collectivités locales. Elle vient donc d’octroyer à la Ville de Besançon 3 prêts verts à hauteur de 7 millions d’euros sur 15 et 20 ans,  pour la rénovation des gymnases et des écoles de la Ville et la lutte contre les îlots de chaleur. Les financements de la Banque Postale sont désormais stratégiquement orientés dans le désinvestissement des énergies fossiles. Cette volonté de « verdir » son activité se heurte malgré tout à la gestion des actifs (LBP Asset Management) et à l’activité d’assureur, deux activités exclues de l’engagement climatique.
La Banque des Territoires est née en 2018 « pour moderniser les territoires, lutter contre les inégalités et agir concrètement au service de l’intérêt général ». Structure financière liée à la Caisse des Dépôts, elle participe au plan d’investissement de rénovation énergétique de Besançon sur deux prêts d’un montant global de 3,5 millions d’euros sur une période de 15 ans.
Moins connue, la Nef (Nouvelle économie fraternelle) est une banque coopérative créée en 1988 et orientée vers le financement de l’économie réelle et responsable « pour cultiver au quotidien un véritable circuit court de l’argent ». La Nef se revendique comme « étant l’établissement financier à l’impact carbone le plus faible en France ». La Banque éthique, adossée au Crédit coopératif, a signé un prêt de 2 millions d’euros sur 15 ans avec la Ville de Besançon fléché vers la rénovation des écoles en 2021.

Jean-Philippe Allenbach (Mouvement Franche-Comté), toujours prompt à réagir, s’est rapidement irrité que « Anne Vignot finance son programme écologique auprès de banques qui partagent son idéologie verte. Rappelant que la France est dans un système d’économie concurrentielle, il entend saisir l’Autorité de la concurrence et l’Association Française des Banques… pour que la Ville mette en concurrence l’ensemble des banques sans aucune discrimination ».

Se préoccuper des conséquences climatiques de tel ou tel investissement bancaire est une action citoyenne louable, à condition toutefois que cela ne se fasse pas au détriment de la croissance économique dont Besançon a tant besoin.

Yves Quemeneur