Maroc : après la nuit de terreur à Taroudant, l’union sacrée

Le terrible séisme de magnitude 7 survenu vendredi 8 septembre entre Marrakech et Agadir a provoqué la mort de plus de 2900 personnes et fait plus de 5500 blessés. Le bilan est toujours provisoire et sur place, l’union nationale et l’aide internationale s’activent pour sauver et aider le peuple. Récit d'une nuit et des premiers jours au coeur d'une ville touchée, Taroudant.

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Maroc Séisme PHOTO DR

Depuis vendredi 8 septembre à Besançon Zineb Zemmahi-Tirel traîne un sentiment d’inquiétude et de tristesse. Au Maroc, ses proches vont globalement bien, la plupart sont installés à Rabat, la capitale éloignée du secteur touché par le dramatique séisme. Pour elle, comme pour des milliers de marocains installés en France ou de Français ayant des origines marocaines, c’est le royaume qui a été frappé par cette terrible catastrophe naturelle. On dénombre pour l’heure 2900 morts et plus de 5500 blessés. Les dégâts s’étendent de Safi sur la côte, à Ouarzazate plus au centre, jusqu’au sud d’Agadir.

À Taroudant, l’hôpital provincial au cœur de du séisme

À Taroudant, ville du Sud-Ouest située dans la plaine de Souss, Laila Zemmahi la sœur de Zineb, vit au milieu du drame. Pharmacienne, présidente de l’organisation marocaine pour la protection de l’enfance et membre de l’association des médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes de Taroudant, Laila Zemmahi a rejoint bénévolement l’hôpital depuis la catastrophe, comme des dizaines d’autres professionnels de santé. Ici l’établissement provincial accueille des victimes de toute la région et fait partie des premiers points centraux pour aider la population.  « Toutes les quatre heures, il y a un roulement. Les deux premiers jours étaient terribles, pour l’organisation mais y compris au niveau psychologique. Néanmoins, la population a très vite réagi, l’État aussi et aujourd’hui la solidarité permet de soutenir un maximum de victimes. À l’hôpital, nous avons reçu énormément de dons de médicaments que nous distribuons gratuitement aux gens. Devant l’entrée, une immense tente a été installée pour permettre aux victimes sans-abri de dormir et se nourrir, le temps de trouver une autre solution plus stable. ». Ici, à l’instar de Marrakech et d’autres communes de la région touchée, le minaret et la mosquée se sont effondrés, tout comme des remparts de la cité, vieux de plusieurs siècles.

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« Depuis son lit, ma fille a été projetée au sol »

Autour de Taroudant, la province est la plus grande du pays avec 89 communes et une superficie de 16 000 km2. « Nous ne sommes pas dans la zone la plus touchée et pourtant, le choc est inimaginable. Il était près de 23h vendredi, avec mon mari et mes filles, nous avons entendu comme des explosions. », raconte Laila. « J’ai pensé à une attaque, que l’on entrait en guerre. Le bruit était tellement assourdissant, il venait de la terre d’une manière si puissante… Ça a duré 38 secondes exactement, les plus longues de ma vie. Je n’ai pas les mots pour expliquer comme notre maison a bougé. On partait de mur à mur, ma fille depuis son lit a été projetée au sol, une autre s’est retrouvée avec le pied bloqué par un placard. » « Le plâtre du plafond s’est effondré sur nos têtes, c’était impossible de se déplacer tant le sol bougeait. Une fois que nous avons réussi à aller dehors, nous avons vu des dizaines de personnes en pyjama ou presque nues, il faisait très froid mais impossible de retourner chercher des affaires. On a passé la nuit comme ça, les autres secousses sont survenues à 23h30, minuit et plus tard vers 3h40 du matin. »

Des secousses jusqu’à Casablanca

Le choc fut tellement violent qu’au Maroc, quelques personnes sont mortes d’une crise cardiaque après le séisme. Les secousses ont été ressenties jusqu’à Casablanca comme raconte Khadija Ed Dahabi, professeur des écoles : « plus que le tremblement, le bruit est terrifiant comme si la terre était en colère. Ici la population se mobilise pour préparer des dons et le Roi a mis un place un RIB pour que chacun puisse verser de l’argent. ». Mohammed VI s’est également rendu à Marrakech ce mardi 12 septembre, au chevet des victimes, mais des dizaines de douars, ces regroupements d’habitations dans les montagnes de l’Atlas, sont détruits et encore inaccessibles ou presque par les équipes de sauvetage. « Les gens sur place entendent des voix sous les décombres du côté d’ImiN’Tala », poursuit Khadija, qui échange avec des habitants depuis plusieurs applications mobiles, en direct.

La mosquée et le minaret ont été détruits. PHOTO DR

« Un traumatisme qui va laisser des traces pour nos enfants »

À Taroudant, Laila et son mari Fayçal Benhalima partagent leur temps entre l’hôpital, l’aide aux sinistrés et leurs filles, terrorisées depuis. « La plus petite à 6 ans et s’est urinée dessus sans s’en rendre compte quand la grande de 11 ans a vomi plusieurs fois. Elles ont changé depuis quelques jours, le soir du séisme je les ai emmenées chez des amis avec une maison de plain-pied et nous avons essayé de dormir dans le jardin, sur des transats. » raconte Fayçal. « Cet aspect n’est pour le moment pas vraiment visible mais sur le long terme, ça risque de prendre beaucoup plus de temps à réparer et soigner. C’est aussi le cas pour d’autres enfants, qui ne sont parfois pas blessés physiquement mais psychologiquement. À l’hôpital, beaucoup ont besoin de parler, de comprendre. La moindre porte qui claque fait sursauter tout le monde dorénavant. », ajoute Laila. « Le lendemain vers 6h30, j’ai eu une décharge d’adrénaline retardée. Je n’étais plus moi-même, impossible de conduire, en retournant chez moi j’ai pris une douche froide pour réaliser ce qu’il s’était passé avant d’aller travailler pour essayer d’oublier. », enchaîne Fayçal. « Aujourd’hui, j’ai la chance d’avoir encore toute ma famille, ce qui n’est plus le cas d’une grande majorité de victimes à l’hôpital. Plus vous vous éloignez de Taroudant pour vous rapprocher de l’épicentre du séisme, plus la situation est critique. À certains endroits, ce sont des enterrements de maisons avec les personnes à l’intérieur », poursuit la pharmacienne. Ici, contrairement à d’autres territoires, l’eau et l’électricité sont revenus rapidement.

Dans les secteurs sécurisés, les livraisons arrivent en masse

Le gouvernement marocain a activé un plan d’urgences et les moyens sont arrivés heure après heure sur place depuis vendredi 8 septembre. Le roi Mohammed VI a demandé au gouvernement d’étudier les possibilités de relogement et de reconstructions rapides pour héberger les victimes. « L’État fait tout ce qu’il faut pour que personne ne manque de rien et tous les Marocains sont unis pour aider. », assure Laila. « J’ai reçu une centaine d’oreillers et des dizaines de matelas lundi 11 septembre. Cette solidarité fait chaud au cœur. On est aussi déjà dans l’action pour préparer l’après, des milliers de personnes n’ont plus rien et plus de famille. », poursuit la pharmacienne volontaire. L’hiver approche et les températures chutent très rapidement dans les montagnes de l’Atlas.

Coordination entre hôpitaux et cliniques privées

À l’hôpital de Taroudant, plus de 600 victimes ont été enregistrées entre samedi et lundi matin. « Les cas les plus graves sont transférés à Agadir ou dans d’autres centres avec plus de matériel. Ici, par exemple, nous n’avons pas de neurochirurgie. Il y a une très bonne coordination entre les cliniques privées et les hôpitaux publics pour une prise en charge rapide. Des dizaines de médecins et soignants sont venus bénévolement aider. Depuis lundi soir, on a retrouvé un fonctionnement plus stable, mais on se prépare à accueillir de nouvelles personnes. », confie un médecin sur place.

« Il y a toujours de l’espoir »

Vétérinaire, Fayçal Behalima prévoit avec d’autres collègues de se rendre dans les montagnes une fois les routes dégagées et la situation plus sécurisée. Pour l’heure avec Laila, les parents ont choisi de préserver leurs enfants. « Il n’y aura pas de retour à l’école pour le moment, au moins quelques jours pour essayer de retrouver une vie normale. Ça ne sert à rien de les laisser seules avec d’autres enfants traumatisés et de ne parler que de ça. On essaye d’être au maximum à la maison et j’ai cotisé sur un compte pour faire des dons aux victimes. » Les sauveteurs comme la cheffe de l’unité espagnole Annika Coll, ne perdent pas espoir de retrouver encore des habitants en vie, malgré le temps écoulé depuis le séisme. « Par exemple en Turquie (un séisme a détruit une partie du pays en février 2023), nous avons réussi à trouver une femme vivante après six jours et demi. Il y a toujours de l’espoir » (répondant au correspondant du Monde Alexandre Aublac).

M.S