Pontarlier. Enquête : l’impossible cohabitation entre Doubs Recyclage et les habitants

L’entreprise est une installation classée protection de l’environnement (ICPE). Située Chemin des Carrières, elle attise les débats. Les riverains dénoncent un trafic important de camions dans le quartier. Sept « non-conformités » ont été relevées auxquelles l’entreprise doit apporter des solutions. De son côté, le dirigeant du groupe assure qu’ils ne déménageront pas.

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Doubs Recyclage est une ICPE, situé Chemin des Carrières à Pontarlier

C’est un combat mené par plusieurs membres de l’association de quartier Chapelle-Charpillot depuis plus de deux ans. C’est notamment l’affaire d’un habitant, Jean-Marc Péchoux, qui dénonce un trafic dangereux de poids-lourds qui traversent la zone résidentielle pour transporter et récupérer des déchets triés par Doubs Recyclage, situé Chemin des Carrières à Pontarlier. 

Alors en décembre 2022, il écrit au préfet et laisse passer deux mois avant de joindre la Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL). « L’inspecteur me dit que Doubs Recyclage devait être inspecté en 2025, mais qu’au vu de notre discussion, ils le seront au premier trimestre 2023 », témoigne Jean-Marc Péchoux. « On a été approché par un plaignant unique au départ qui est arrivé avec des signalements très précis, factuels et objectivés. Les éléments mis en avant étaient suffisamment solides et fondés pour qu’on estime nécessaire de donner suite », confirme Franck Nass, chef de l’unité interdépartementale 25/70/90 de la DREAL Bourgogne-Franche-Comté.

Sept non-conformités

L’inspection se déroule en mai 2023, donnant lieu à un rapport en juillet. Sur 18 points de contrôle, 7 non-conformités sont relevées, portant sur la prévention des incendies, le rejet à l’air libre des eaux de ruissellement, la dalle qui nécessite une réfection et sur le dépassement du périmètre sur lequel l’activité est autorisée. « Des modifications de plans ont été réalisées. On a investi une bâche de rétention. Des travaux ont été réalisés sur des bouts de réfection de dalle qui étaient abîmés », énumère Guillaume Secula, co-directeur du groupe E3R, qui gère Doubs Recyclage.

Un dépôt qui déborde sur une zone naturelle de stricte protection

Le rapport pointe aussi deux débordements de la parcelle BO 449 dévolue aux activités de l’entreprise. Les deux ont lieu sur la parcelle communale 450. Le premier couvre 1500m2 sur la partie nord-est du site et le second concerne 400m2 sur la partie sud. Guillaume Secula explique que ces débordements existaient déjà lors de l’acquisition de l’ancienne entreprise Artmann en 2011 : « Nous n’étions pas au courant. On a appris le débordement courant 2023 ».

Les portions délimitées en rouge doivent faire l’objet d’une libération et d’une remise en état

Problème, ces stocks de dépôts sont sur une parcelle classée en zone naturelle de stricte protection donc « a priori non compatible avec une activité industrielle », note le rapport. Il est envisagé de régulariser la situation administrative, provocant de nombreux débats. C’est finalement la préfecture qui tranche dans un courrier du 17 septembre 2024 : « il apparaît que la régularisation par dépôt d’un dossier pour l’occupation illégale est donc finalement impossible ».

Doubs Recyclage ne déménagera pas

Cette réponse restreint donc Doubs Recyclage dans sa parcelle BO 449. « On a proposé un échelonnement pour quitter les surfaces », affirme Guillaume Secula. Séquencier confirmé par Franck Nass de la DREAL. Le site, exploité au maximum de ses capacités, selon le rapport d’inspection, doit revenir à son périmètre. Est-ce possible après avoir diversifié ses activités ? « Habituellement, ce genre d’activités-là est exercé sur des sites de très grandes surfaces. Vous avez des sites comparables à Héricourt, à Frasnois, avec des surfaces considérables qui permettent à l’exploitant d’être à l’aise. Ce qu’on ne sait pas dire c’est dans quelle mesure, en revenant au périmètre véritablement autorisé, l’exploitant ne va pas être amené à reconsidérer un peu sa position », explique Franck Nass.

Jean-Marc Péchoux espère que cette restriction obligera l’entreprise à déménager. Le co-directeur assure l’inverse : « ça nous réduit du volume d’exploitation, mais ça ne change pas le devenir de la structure. Je ne veux pas donner de fausses illusions. La réduction des surfaces ne nous permettra plus de travailler de la même manière mais ce ne sont pas des contraintes au point de nous déplacer. Le foncier n’est pas facile à avoir. C’est un site ICPE, il nous faut alors une autorisation préfectorale, et c’est long ».

Des suites administratives supplémentaires en cas de non respect

Doubs Recyclage a jusqu’au 7 juin 2027 pour revenir sur sa parcelle dévolue. En novembre dernier, Jean-Marc Péchoux a fait appel à un avocat et ils ont adressé une requête introductive d’instance au tribunal administratif pour modifier l’arrêté préfectoral de mise en demeure, en date du 7 juin 2024, « en ramenant le délai imparti à la société DOUBS RECYCLAGE, pour l’exécution de ses obligations, de 36 mois à 9 mois ; le tout sous astreinte de 250 € par jour de retard, à compter de l’expiration dudit délai de 9 mois », peut-on lire dans la requête.

De son côté, la DREAL maintient la pression : « on n’a pas le pouvoir de faire déménager un site quand il commence à générer des nuisances trop importantes pour son environnement. Le rapport de force est relativement équilibré car on a un ensemble de leviers réglementaires. Les limites de propriété, les niveaux de bruit, il va falloir les respecter. On va être intransigeant sur la qualité de l’étanchéité des sols. L’exploitant de son côté, tant qu’il décide de rester là, on ne peut pas l’obliger à aller ailleurs », souligne Franck Nass. 

À l’expiration des délais fixés pour revenir à la conformité, en cas de non respect, la DREAL peut donner d’autres suites administratives avec des possibilités de consignation de sommes, d’amendes et d’astreintes administratives par exemple. « Si la mise en demeure n’est pas respectée, c’est une situation de délit, au plan des suites pénales possibles. Un non-respect de prescription, c’est juste contraventionnel », poursuit Franck Nass.

Le maire de Pontarlier, Patrick Genre, n’a pas non plus le pouvoir d’obliger l’entreprise à déménager mais assure comprendre les inquiétudes des riverains : « On est tous à dire que ce lieu n’est pas le meilleur. Il y a une dizaine ou une douzaine d’années, on avait trouvé un terrain pour délocaliser avec les anciens propriétaires. On ne peut pas dire que la collectivité ne fait rien. Cela n’a pas pu se faire pour diverses raisons. Si le propriétaire actuel souhaite se délocaliser, on regardera ce qu’on peut faire, mais s’il ne fait pas la demande, ce n’est pas moi qui vais lui imposer. Je n’ai pas les moyens de faire partir l’entreprise ».

Un trafic routier dangereux avec 80 passages quotidien

Les habitants du quartier devront supporter le passage de camions encore un moment. Jean-Marc Péchoux continue de dénoncer un trafic dangereux en relevant par exemple une glissade d’un 44 tonnes le 21 novembre dernier. En avril 2024, il avait déjà écrit une lettre pour alerter sur différentes infractions : « Parmi les plus spectaculaires, le remorquage, jamais vu jusqu’à présent, de carcasses de bus et de camions remplis de déchets entre le 22 et le 26 Mars 2024, de nombreux chargements dangereux et débordants et non bâchés, des horaires matinaux non respectés, pourtant promis juré à 5 h45, par exemple, le 8 Mars 2024, à 5 h, 5h 25, 5h35, ou le 5 Avril 2024 à 5 h et 5h20, des horaires en soirée comme le 10 Avril à 19h50, l’accident du 1er Février, le stop des Argillers non respecté par un 44 tonnes par temps de neige et de glissade (signalement sur le site Thelma), le brouhaha des camions, les reculades nécessaires pour permettre les rencontres devant chez nous, etc ». 

« On a d’abord proposé des décalages d’horaires de livraison, d’ouverture du site. On a des conducteurs qui partent en différé. Le nombre de choses du quotidien qu’on a changées pour essayer de convenir. Effectivement, on a des poids-lourds qui viennent mais aujourd’hui il n’y a pas de sujet de bruit, de nuisance olfactive. Le principal sujet ce sont les camions, poids-lourds qui passent pour accéder à notre site sur un trafic qui avait été relevé à l’époque par la mairie, je crois qu’on parle d’une vingtaine, de 25 véhicules jour », affirme Guillaume Secula. La DREAL estime à 80 passages journaliers tous véhicules confondus dans son rapport d’inspection de juillet 2023. De son côté, Jean-Marc Péchoux compte plus d’une centaine de camions par jour en novembre 2024.

C.T