Le personnel soignant se bat pour trouver ou inventer une place sur le parking réservé et devenu trop petit au fil des années. À quelques mètres, les containers empilés servent de bureaux aux syndicats. Au CHRU Jean Minjoz, la vitrine parle presque d’elle-même.
Faire avec les moyens du bord
C’est ici pourtant que l’ensemble des activités de l’hôpital Saint-Jacques et Jean-Minjoz doivent être réunies en 2023. Un lieu trop étroit pour un secteur d’activité ayant besoin d’espace et de fonctionnalités : dans les différents services, plusieurs ascenseurs dysfonctionnent, le matériel médical manque et à l’image des canalisations non traitées, les signaux d’alerte s’intensifient. « Ils mettent une petite capsule au-dessus du siphon de douche quand on ne l’utilise pas pour masquer les odeurs. Ça symbolise un peu ce que j’ai vécu, ils font avec les moyens du bord. On sent des soignants à bout », témoigne Jean-Jacques Lamiot, habitant du Grand Besançon.
Attendre une prise en charge, faute de lits
Son parcours de soins est symptomatique d’un système de santé considéré comme l’un des meilleurs au début des années 2000 et devenu défaillant vingt ans plus tard. Jeudi 5 janvier à 14h, Jean-Jacques Lamiot se rend au CHRU Jean Minjoz, dans le cadre d’une intervention programmée le lendemain. Avec sa femme Michèle, ils patienteront d’abord 4 heures, faute de lits disponibles.
L’opération se déroule comme prévu le lendemain et après son réveil vers 12h, Jean-Jacques Lamiot reste en surveillance jusqu’au samedi 7 janvier. De retour à son domicile, des complications surviennent le dimanche matin au point d’appeler le SAMU. « Une ambulance est arrivée et ensuite ce fut le début d’un interminable parcours », confie Michèle sa femme.
20h d’attente pour diagnostiquer un œdème pulmonaire aigu
Arrivé à 14h aux Urgences dans une détresse respiratoire et sous oxygène, le premier bilan n’est effectué qu’à 16h25 et la radio arrive 45 minutes plus tard. « Le cardiologue demande ensuite un scanner que j’ai passé à 4h du matin ». Jean-Jacques apprendra le lundi matin à 10h qu’il s’agissait d’un œdème pulmonaire aigu. Entre-temps, le patient est passé par le service de neuro-chirurgie avant d’atterir en soins intensifs en pneumologie.
« Nous avons eu le diagnostic 20h après alors qu’un médecin du SMUR aurait sûrement pu déceler le problème sur place. C’est un cas typique de manque de personnel qui aurait pu provoquer une situation grave. Heureusement les différents soignants ont tous fait de leur mieux. », commente Michèle Lamiot. En racontant leur récit, le couple semble encore estomaqué par l’événement et les difficultés avec lesquelles doivent jongler les soignants. » Quand j’ai appelé pour obtenir des renseignements, une infirmière débordée m’a insultée. Après coup, on compatit presque pour elle ».
Le couple a décidé de parler, espérant faire bouger les choses. Ils ont également écrit une lettre au député Laurent Croizier, à la direction du CHRU et au ministère de la Santé. « Si personne ne dit jamais rien, on fonce droit dans le mur ».
Une équipe du SMUR en moins, faute de personnel
« Normalement il y a trois équipes de SMUR disponibles à Minjoz. Mais depuis deux ans nous avons dû fermer une équipe de transfert par manque de personnel. », confie Gérald Binetruy, ambulancier et responsable syndical Sud Santé Sociaux, second groupe de l’hôpital. Au 31 décembre 2020, le CHRU Jean Minjoz assurait rémunérer 7217 personnes. À l’époque, l’établissement recrute 160 IDE (infirmier diplômé d’État). Selon le syndicat SUD Santé Sociaux, ils n’étaient plus que 97 fin 2021. Les arrêts de travail sont aussi en constante augmentation : 8,4% du personnel en 2018 contre 11,6% entre le 1er janvier et le 31 août 2022.
Une pénurie de médicament qui entraîne 12 heures de coma
Un autre patient a décidé lui de porter plainte après sa prise en charge. Les multiples défaillances dans son parcours de soins ont failli lui coûter la vie. Atteint d’une bronchopneumathie chronique obstructive (BPCO) emphysème, Denis*, âgé d’une cinquantaine d’années, se rend à la pharmacie pour aller chercher son traitement, début janvier, comme chaque mois. Sans stock, l’officine lui propose un autre produit « qui n’avait rien à voir », assure le témoin. Première défaillance.
Le lendemain, le patient commence à ressentir un mal-être et contacte son médecin traitant en urgence. Le généraliste se rend au domicile du patient seulement en début d’après-midi. Le Pays de Maîche fait partie de ses déserts médicaux, où le recrutement des soignants est l’un des enjeux prioritaires actuellement. Deuxième défaillance.
À son arrivée, le médecin généraliste découvre Denis* dans un état grave et appelle immédiatement le SAMU. L’hélicoptère du CHRU arrive en quelques minutes, prend en charge le patient et décolle, direction Besançon. « Je suis arrivé à 15h aux Urgences, j’ai été réanimé à 3h du matin. J’ai su tout cela plus tard en parlant avec des infirmières qui ont accepté de me raconter ce qu’il s’était passé. J’ai appelé mon fils pour vérifier si je n’étais pas mort. », témoigne le patient.
Facture salée
La réanimation de Denis lui provoque des poussées inflammatoires articulaires, « des crises de goutte ». « Je suis bloqué des deux genoux, je ne peux plus trop me déplacer », soupire-t-il, pointant son déambulateur de fortune. « On m’a donné ça parce que tous les autres sont cassés. »
Pour n’avoir pas pris à temps son traitement, cet homme restera près d’une semaine à l’hôpital. Une pénurie de médicaments qui coûte à l’arrivée très cher : près de 10 000 € en comptant seulement le déplacement en hélicoptère et les journées d’hospitalisations. Si les dysfonctionnements se sont enchaînés, Denis* estime que les Urgences ont failli le laisser « partir ». « J’arrive dans un état grave, je suis dans le coma et je me réveille près de 12h après mon arrivée ce n’est pas normal. Je veux poursuivre l’hôpital même si ça ne sert à rien.
Qui est alors coupable ? « Des situations similaires à ces deux témoignages, c’est régulier maintenant. », admet Gérald Binetruy. « Des lits supprimés dans la fonction hospitalière faute de personnel, c’est très récent. Notre syndicat a estimé qu’il manque 10% d’équivalent temps-plein (environ 500 personnes) pour que le CHRU fonctionne normalement. A travers l’Hôpital public, l’urgence concerne tout notre système de santé ».
*Prénom modifié.
M.S