Gustave Courbet : des lettres cachées, un intrigant trésor révélé

La bibliothèque d’Étude et de Conservation de Besançon a découvert une série de lettres entre le célèbre peintre d’Ornans et une étrange parisienne. Une romance épistolaire quelque temps après l’emprisonnement de Gustave Courbet pour son rôle dans la Commune. Une face cachée de l’artiste révélant des détails de son histoire, ses tableaux et l’époque, présentée au public à l’occasion d’une exposition dédiée.

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Près de 120 lettres ont été découvertes. Photo MS

Au cœur de la bibliothèque d’Étude et de conservation de Besançon, les conservateurs affichent un large sourire. « Une découverte comme celle-ci, on en fait une dans sa carrière », confie Pierre-Emmanuel Guilleray. L’homme fait partie des trois membres du site à avoir mis la main par hasard sur une enveloppe au contenu gardé secret depuis plus de 150 ans. Dans un grenier datant de 1818, date de la construction du site, Pierre-Emmanuel accompagné de Ludovic Carrez et Bérénice Hartwig préparent depuis un an le déménagement des archives vers la future Grande Bibliothèque, prévue en 2027. « Cette enveloppe était moins poussiéreuse que les autres paquets, ce qui a attiré notre regard », poursuit le bibliothécaire. À l’intérieur, une première lettre de l’Assemblée nationale précède un épais paquet de feuilles. « Il y a quarante ou cinquante ans environ, une personne remit au conservateur de la bibliothèque publique des lettres scabreuses écrites à une dame par une personnalité célèbre du XIXe siècle », peut-on lire sur ce premier document. Il n’en faut pas plus pour aiguiser la curiosité des professionnels. « Dans les premiers textes, on se rend rapidement compte qu’il s’agit de l’écriture de Gustave Courbet. », poursuit Pierre-Emmanuel Guilleray.

Des premiers échanges peu de temps après sa détention

Cette incroyable surprise dévoile 116 lettres à l’intérieur desquelles le célèbre peintre né à Ornans vit une romance épistolaire très intense et sans filtre avec une jeune parisienne ayant contacté l’artiste « au culot » : Mathilde Carly de Svazzema. « C’est une personne qui fréquentait les célébrités de l’époque, assez cultivée pour pouvoir approcher les personnalités du monde artistique. », résume le conservateur. Cette correspondance devient rapidement une relation amoureuse à distance, pendant six mois. « À l’intérieur, Gustave Courbet parle aussi de ce qu’il fait à ce moment ». Voilà le double enjeu derrière cette découverte dont l’impact s’annonce fulgurant. Les premiers échanges datent de novembre 1872, six mois après la fin de l’emprisonnement du peintre, bouc émissaire érigé en instigateur de la Commune de Paris. Le mouvement insurrectionnel, né d’un refus de la capitulation française face à la Prusse et d’une volonté d’instaurer une nouvelle République, est au cœur des premiers échanges. « Gustave Courbet entame cette correspondance dans un moment très difficile. Ruiné, détesté par une partie de la population et oublié par une autre, il essaye de sauvegarder tout ce qu’il peut et se raccroche à cette femme, qui lui offre un soutien très rare. », analyse Pierre-Emmanuel Guilleray.

Ils sont trois bibliothécaires à s’être transmis ce secret bien gardé, depuis 1906 jusqu’en 1986. « La consigne était de ne rien dire, à cause du caractère pornographique, trop gênant pour l’époque. »

Cette correspondance retrouvée au sein de la Bibliothèque d’Étude et de conservation s’arrête en avril 1873 et vient compléter une première courte partie déjà connue : l’institut Courbet détient depuis plusieurs années deux lettres de cette même correspondance, retraçant une partie bien plus sombre. En fin de relation, Mathilde Carly de Svazzema aurait tenté de faire chanter le peintre en « laissant entendre qu’elle pourrait publier ses lettres érotiques. À l’époque l’atteinte aux bonnes mœurs existe », commente le conservateur. Nous sommes au mois de mai 1873, quelques jours avant la loi sur le rétablissement de la colonne Vendôme aux frais de Gustave Courbet. Ses biens commencent à être confisqués et cette situation pousse l’artiste à l’exil en Suisse, le 23 juillet 1873, moins d’un mois après avoir mis un terme définitif à ses relations avec Mathilde Carly de Svazzema.

En fin de relation, Mathilde Carly de Svazzema serait venue à Besançon et Ornans dans l’espoir rencontrer Gustave Courbet, en vain. Dénoncée par l’artiste, elle passe un mois en prison.

Une exposition et un livre annoncés

« Cette découverte apporte des précisions et confirmations aux hypothèses jusqu’ici émises par les chercheurs. », commente Pierre-Emmanuel Guilleray sans en dire plus. Afin de garder le mystère pour en révéler davantage lors d’une exposition dédiée : Courbet, les lettres cachées, Histoire d’un trésor retrouvé. 36 lettres sur les 116 conservées ont été sélectionnées pour retracer l’histoire de cette relation épistolaire complexe entre ces deux personnages. Le rendez-vous est annoncé du 21 mars au 21 septembre 2025 à la Bibliothèque municipale de Besançon (1 rue de la Bibliothèque). Il sera accompagné d’un ouvrage, Courbet, correspondance avec Mathilde (mars 2025) réalisé en collaboration avec la Ville de Besançon et Gallimard. Pour les plus curieux, la Ville de Besançon annonce que « toutes les lettres originales seront numérisées et mises en ligne sur le site Mémoire vive, patrimoine numérisé de Besançon ».

Anne Vignot : « une découverte majeure »

Avant cela, Anne Vignot dévoilait cette grande découverte au public lors d’une conférence de presse officielle ce mercredi 27 novembre. « On pressentait que ces lettres avaient pu exister. On les pensait disparues ou détruites et pourtant les voilà. On comprend, vu leur nature sulfureuse, pourquoi elles ont été cachées. » Cette révélation est aussi le moyen « d’avoir un autre aperçu de Courbet : intime et fascinant sur sa psychologie à cette période compliquée de sa vie. Nous souhaitons que cette découverte devienne pour les chercheurs, historiens de l’art, psychanalystes ou linguistes, une source de premier ordre pour continuer à essayer de comprendre Courbet, l’homme, le peintre et ses oeuvres. »

« Il y a un contenu sexuel dans cette correspondance on pense donc forcément à L’Origine du Monde. Il n’y a pas de lien direct mais ça résonne fortement », glisse Pierre-Emmanuel Guilleray. Peint en 1866, le célèbre tableau restera secret jusqu’en 1994. Trente ans plus tard et 147 ans après sa disparition, Gustave Courbet conserve toujours des secrets insoupçonnables.

Informations pratiques :
https://memoirevive.besancon.fr/

Martin Saussard