Doubs. Déserts Médicaux : la tension monte dans le Doubs

Les centres de vaccination ont remis en avant le manque de professionnels de santé sur le département. Certaines zones seront mêmes sans médecins dans les prochaines années. Pour pallier ce manque national, les choix de l'état divisent et les acteurs locaux veulent être entendus.

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La crise sanitaire et la mise en place des centres de vaccination ont à nouveau mis en lumière toutes les problématiques du monde de la santé. Cette déconnexion entre une gestion très étatique et des besoins sur le territoire complètement différents d’un département à l’autre, a été compensée pendant des mois par la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS).

Depuis le 31 mars, tous les centres de vaccination ont fermé, laissant cette mission aux pharmaciens, infirmiers et médecins généralistes. Pour eux, difficile de comprendre ce choix. « Nous avions demandé à l’agence régionale de santé (ARS) de maintenir une sorte de petit centre de vaccination permanent pour épauler les professionnels déjà en tension », explique Laure Jagiello responsable de la CPTS Haut-Doubs Forestier. Une demande refusée, sans réelle explication.

Seules les zones blanches sont considérées comme «bien dotées» par l’ARS.

47 médecins généralistes sur la CPTS du Haut-Doubs Forestier

Dans le Doubs, seuls les secteurs de Besançon, Baumes-les-Dames et Montbéliard sont « assez » dotés en médecins généralistes (voir carte), tandis que le reste du territoire se partage en zone d’intervention prioritaire (ZIP) et zone d’action complémentaire (ZAC). « Nous avons un rôle d’information essentiel pour l’instant. Par exemple l’ARS découvrait seulement la semaine dernière que nous allions manquer de médecins dans l’année à venir sur notre territoire… », poursuit Laure Jagiello, un peu déconcertée. Sur la CPTS Haut-Doubs Forestier, de Gilley à Nozeroy en passant par Levier et Valdahon, ils sont aujourd’hui 47 professionnels. Cinq d’entre-eux partiront à la retraite en 2022, ce que l’ARS ne prend pas en compte sur cette carte.

Levier, Frasne, Nozeroy… des secteurs où les généralistes se comptent sur les doigts de la main. « Il n’y aucun secteur sur notre CPTS où nous sommes bien dotés. Actuellement ma génération, celle où il y a eu un pic de professionnels, part en retraite. Sauf que l’État depuis 30, 40 ans, a fermé les vannes et le nombre de jeunes médecins n’est plus assez suffisant. Autour des années 2000 il y a eu un premier changement à cela mais la politique de santé doit se réfléchir presque dix ans à l’avance. », analyse Pierre-Marie Philippe. Diplômé en 1985, le médecin aujourd’hui installé à Levier voit défiler des jeunes internes sans qu’aucun où presque ne s’installe durablement.

Un mode d’exercice complètement différent

Derrière ce problème démographique, le mode d’exercice a considérablement évolué. « Un étudiant passe dix ans avec les mêmes personnes, construit le début de sa vie. Il y a beaucoup plus de temps partiel et une féminisation de la profession importante. Aucun étudiant diplômé ne veut travailler 70h par semaine. Nous voulons plus de temps pour notre vie sociale et ne pas être isolés dans un cabinet. C’est aussi pour cette raison, qu’en proposant toutes les primes, les aménagements et installations possibles, l’état ne résoudra pas le problème », commente Pierre-Laurent Marmier qui vient de valider sa thèse « Parcours de soins et déterminants du recours direct aux urgences de Pontarlier pour les patients relevant d’une prise en charge en médecine générale ».

« Un jeune médecin qui ne veut pas travailler 70 à 80h semaine comme à l’ancienne, c’est tout de même pour faire 45 à 50h dans des conditions parfois compliquées. Le grand public peut penser que les médecins « ne veulent plus travailler ». C’est faux, on veut travailler différemment. », ajoute Fabien Noreille, médecin généraliste installé à la maison de santé de Pontarlier. Une situation totalement compréhensible pour Pierre-Marie Philippe. « A mon époque au début, on habillait les morts, littéralement, le médecin était le patriarche du village. »

Le numérus apertus, la fausse bonne idée ? 

Pour répondre à ce manque le gouvernement, depuis la rentrée 2021, a supprimé le numérus clausus au profit du numérus apertus, pouvant augmenter face aux besoins sur le territoire. Une fausse bonne solution si l’on en croit les interlocuteurs. « Augmenter le nombre de passage en deuxième année de médecine sans rien améliorer derrière ça ne changera rien. Si le nombre de places en stage et la formation ne suivent pas, les internes deviendront des mauvais médecins. A l’heure actuelle, les internes en stage dans les gros hôpitaux, redoutent de s’installer en cabinet. Ils ont été cantonnés à des petites tâches quand les stagiaires en maisons de santé éloignées devaient traiter de tout. Avoir plus de médecins d’accord, mais il faut garder la qualité actuelle ! », poursuit Pierre-Laurent Marmier.

« Il va y avoir une salve de nouveaux médecins qui arrivera d’un coup dans dix ans, très bien. En attendant, il y a des formations annexes pour épauler les médecins généralistes. Dans dix ans, si l’on assemble tout ça, on court vers une surcharge de professionnels de santé. On a l’impression que l’État réagit dans l’urgence sans vraiment réfléchir sur du long, très long terme. », commente Fabien Noreille.

Maison de santé, la piste à développer

Tous s’accordent sur un point : les maisons de santé sont des outils d’avenir, à l’heure où la sectorisation centralise l’accès aux soins spécialisés sur Besançon. « Proposer à plusieurs amis d’une même promo d’aller travailler ensemble à une heure ou deux heures de route, c’est possible car encore une fois on prend plus en considération le critère social que financier. » assure Pierre-Laurent Marmier.

Une manière aussi d’apporter un soin plus rapide et d’éviter les urgences, devenues la solution trop facile du grand public. « Une meilleure éducation et formation aux soins de premières nécessités auprès du grand public sont essentielles », glisse Fabien Noreille.

En 2021, le gouvernement précisait qu’en moyenne, d’ici à 2027, il faudrait former 20 % d’étudiants en plus en médecine, 14 % en odontologie, 8 % en pharmacie et 2 à 4 % en maïeutique.

Martin SAUSSARD