La tête dans les derniers préparatifs pour fêter dignement la Saint-Sylvestre, le public et les consommateurs n’ont pas vu immédiatement l’arrêté publié vendredi 31 décembre 2021 au Journal officiel. Désormais la consommation et la vente de fleurs de cannabis chargées en CBD sont interdites en France.

Elodie Marchon s’est lancée dans le marché du CBD en 2018. « J’ai importé le produit en France, j’étais la première à en vendre », assure la Dijonnaise de 35 ans. Avec son enseigne « Bestown shop CBD », elle ouvre l’une de ses premières boutiques à Besançon. Le succès est immédiat, les ventes explosent et la gérante de la franchise inaugure 33 magasins dans la France entière.

« 80% de mon chiffre d’affaires » 

Aujourd’hui, il ne reste qu’une vingtaine de Bestown Shop et Elodie n’a conservé qu’un seul magasin, installé rue Rivotte. « Je ne suis pas trop dans l’action mais dans l’anticipation. Ça fait des mois que l’on annonçait des mesures fortes, j’ai anticipé en fermant mes boutiques. C’est un nouveau coup de traitre de leur part. Faire ça un 31 décembre pour une mise en place le 2 janvier 2022, le tout en ne respectant pas les lois européennes. (Voir encadré). J’ai vu ce que ça donnait lorsqu’ils avaient déjà essayé d’interdire la vente de fleurs une première fois, les perquisitions, les amendes, les fermetures… Tout ça arrive très vite et il ne nous reste plus rien. A quoi bon ouvrir avec cet arrêté, la fleur représente 80% de mon chiffre d’affaire. »

La gérante l’assure, le récréatif n’est pas sa principale clientèle. « Ce qui amuse les gens dans le récréatif, c’est la « défonce ». Or là, il n’y en a pas, tous les consommateurs connaissent le chanvre de CBD. Ma clientèle va de 35 à 90 ans et la consommation de CBD se fait principalement pour aider les personnes malades, âgées ou qui souhaitent arrêté justement le cannabis avec du THC. Les qualités médicinales sont reconnues pour cette plante ! », poursuit Elodie Marchon, quelque peu résignée à attendre la suite des événements.

Un référé liberté au conseil d’État

Du côté de Pontarlier, Vincent Chicanne, gérant de la boutique CBD’eau est déterminé a poursuivre son activité et les procédures contre cet arrêté qu’il juge scandaleux.  » Nous ne changeons rien, nous restons ouvert même si ça risque d’être compliqué. Nous avons engagé un référé liberté auprès du conseil d’État pour se lever contre cette décision illégale. Cette première procédure sera suivie d’autres plus importantes où nous estimerons et de manière chiffré ce que cet arrêté a fait perdre aux commerces. L’Union Européenne a statué, l’OMS a statué, le chanvre de CBD n’est pas une drogue et l’interdiction de sa vente est illégale. C’est l’emploi de 15 000 personnes en France qui est menacé. »

Les stocks de fleurs de CBD sont fournis par nos voisins Suisses qui devrait aussi subir les retombées de cette décision. « Dans une moindre mesure », d’après Vincent Chicanne.  » En France, le taux de THC présent dans une fleur de CBD est de 0,3% maximum, alors qu’en Suisse elle est de 1%. Les consommateurs français pourront aller chez nos voisins mais ils seront dans l’illégalité à leur retour. »

Encadré : Le CBD, quatre ans de combat entre commerçants et gouvernement

En 2018, le cannabis sans THC, dit CBD ( de son vrai nom cannabidiol) devient la nouvelle mode des consommateurs français. Des dizaines de boutiques fleurissent, le business cartonne et les vendeurs jouent sur les vertus d’un produit « thérapeutique ». Le gouvernement loupe la mise en place de ce marché fleurissant. La ministre de la Santé de l’époque Agnès Buzyn, qualifie le CBD de stupéfiant et annonce vouloir fermer toutes les boutiques vendant cette fleur. « Le droit dit que le chanvre peut être utilisé à des fins industrielles quand il contient moins de 0,2 % de THC (substance active du cannabis). Il ne parle pas de produits en cigarette mais de la plante. Or ces magasins détournent le droit en disant que leurs cigarettes contiennent moins de 0,2 % de THC ». (dimanche 17 juin 2018 sur RTL).

S’en suit une bataille juridique entre vendeurs et gouvernement. Entre différentes mises en examen et perquisitions des forces de l’ordre françaises, jeudi 19 novembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) juge illégale l’interdiction en France de la commercialisation du cannabidiol (CBD), expliquant que la molécule présente dans le chanvre n’a « pas d’effet psychotrope ni d’effet nocif sur la santé humaine ». De nombreux procès sont donc privés de base légale.
La cour de cassation suit cette directive en annonçant le 23 juin 2021 que personne ne peut interdire la commercialisation de cannabidiol dans un Etat membre de l’UE s’il est produit légalement dans un autre Etat membre.

Mais le gouvernement français revient à la charge. Les forces de l’ordre se plaignent de ne pas pouvoir différencier, lors de contrôles, le CBD du cannabis illégal. Malgré les statuts des différentes institutions, la France publie un arrêté ce 31 décembre 2021, interdisant la vente de fleurs de CBD.

Martin SAUSSARD