Besançon. Jenny d’Héricourt, le féminisme et l’aluminium roumain

Derrière la statue en hommage à Jenny d’Héricourt inaugurée le 8 mars, Journée Internationale des droits des femmes, les polémiques ont pris le pas sur un sujet qui devrait faire consensus.

192
Jenny d'Héricourt, le féminisme et l’aluminium roumain
Inauguration de la statue en hommage à Jenny d'Héricourt sur la place de la révolution à Besançon, en présence de l'artiste Lily Reynaud Dewar, d'Anne Vignot la Maire de Besançon et de plusieurs adjointes Valérie Haller, Aline Chassagne et Elise Aebischer ©YQ

Jenny d’Héricourt et Pierre-Joseph Proudhon sont tous deux natifs de Besançon. Ils sont réunis à quelques mètres l’un de l’autre : l’un par une rue de la cité comtoise, l’autre par une statue qui trône au centre de la place de la Révolution (laquelle place ne fait pas référence à 1789 mais à 1840). Les deux philosophes du XIXe siècle se sont pourtant opposés farouchement. Proudhon écrivait : « une femme qui exerce son intelligence devient laide, folle et guenon ». Cette grande figure du socialisme était passablement misogyne…Le fervent défenseur des plus faibles, face à la volonté d’émancipation de la femme, « inclinait à mettre la femme en réclusion…elle reste mineure et ne fait point partie de la cité ». Ces propos résonnent étrangement ce 8 mars 2025 quand Anne Vignot, la maire de Besançon, évoque le sort des femmes afghanes « invisibilisées sous le joug des talibans ». Les fous de dieu de Kaboul auraient-ils lu Proudhon ?

Une œuvre d’art qui ne fait pas l’unanimité

Il demeure encore l’hypothétique annulation de la commande publique de la Ville de Besançon qui selon Jean-Philippe Allenbach et le Mouvement Franche-Comté, n’aurait pas respectée les dispositions du code des marchés publics. Jenny d’Héricourt pourrait encore être déboulonnée de son socle sur décision de justice, à l’instar d’une statue de Nice. Sur les réseaux sociaux beaucoup de bisontins s’étonnent également du choix d’une artiste qui ne connait pas Besançon et, dit-elle, « n’avait jamais entendu parler de Jenny d’Héricourt » ou s’étonner du choix d’une fonderie de Bucarest alors que la Franche-Comté a de belles entreprises de fonderie d’art. Même constat du côté des oppositions municipales.

Lors de l’inauguration de la statue le 8 mars dernier, le public présent était enthousiaste et militant. Il en allait différemment des promeneurs et chalands rencontrés dans l’après-midi. « C’est laid et ça va mal vieillir » commente Jean-Claude un septuagénaire. La majorité des personnes interrogées s’étonnent des masques « Ils vont les retirer ? Ça ne ressemble à rien ! » La création de chaque œuvre d’art est l’occasion de joutes verbales et de polémiques. La statue désormais installée Place de la Révolution à Besançon aura au moins l’avantage de faire connaître Jenny d’Héricourt qui, contrairement à ce que pensait une élue de la Ville, n’a aucune origine aristocratique.

Billet d’humeur : petit rappel historique

Le 8 mars a été institué « Journée Internationale des droits des femmes » en référence à plusieurs événements controversés. En 1857 d’abord, lorsque des couturières new-yorkaises manifestent pour protester contre les conditions de travail et les droits inégaux des femmes. Cette origine a été remise en question par Françoise Picq, historienne du CNRS et militante active du MLF. Mythe ou réalité ? 60 ans plus tard, le 8 mars 1917 à Saint Petersburg devient le point d’ancrage de cette journée internationale pour les droits des femmes, début de la révolution bolchévique. Mythe ou réalité ? Il faudrait plutôt remonter 124 ans en arrière et la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » écrite en 1793 par Olympe de Gouges dont la citation la plus célèbre « La femme a le droit de monter à l’échafaud, elle doit avoir également le droit de monter à la tribune ». Après Marie-Antoinette, Olympe de Gouges montera à l’échafaud à défaut de monter à la tribune. Mais cette référence n’est pas politiquement correcte puisque c’est Robespierre et la Terreur qui l’assassinera. De même, on condamne sur la place publique les exactions de l’Abbé Pierre en débaptisant un lieu d’accueil des SDF de Besançon, pourquoi ne pas débaptiser la rue Proudhon et lui donner le nom d’Olympe de Gouges ?

Yves Quemeneur