Région. La faune sauvage suscite les convoitises

Les douanes françaises ont multiplié les saisies d’animaux protégés au mois de mai, notamment en Franche-Comté. Un type de trafic régulier, qui tend à s’intensifier selon le Centre Athénas, seule structure régionale à pouvoir récupérer les animaux victimes de détentions illégales.   

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Dix mésanges charbonnières dont huit oisillons dans un carton. C’est au cours d’un contrôle routier classique le 13 mai dernier que les douaniers des Brigades des Rousses et de Lons-Le-Saunier découvrent ces oiseaux transportés dans un véhicule utilitaire immatriculé en France. Une espèce protégée en France et en Europe. Des interpellations de ce type se sont multipliées tout au long du mois de mai avec une régularité étonnante pour les douanes françaises.


Six affaires en moins de quinze jours avec notamment 13 animaux interceptés vivants. Contrairement aux mésanges charbonnières, ces autres espèces retrouvées sont toutes protégées par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), plus communément appelée convention de Washington, créée en 1973 et ratifiée par 183 pays aujourd’hui.

À Saint Laurent du Maroni le 4 mai, deux perroquets, un Amazona amazonica et un Orthopsittaca manilata, sont retrouvés dans une pirogue. Cinq jours plus tard au même endroit, une voyageuse tente de dissimuler une tortue à pattes jaunes dans une valise. À l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry le 5 mai, un couple de Français passe le filtre des arrivées en provenance de Madrid avec 18 coraux dans ses bagages. Deux jours plus tard à Nancy, les agents de la brigade de Thionville contrôlent un poids lourd transportant deux cartons contenant 10 toucans morts et en partie évidés. Une expertise du Zoo d’Amnéville confirme qu’il s’agit de Ramphastos toco. Vivants, ces animaux valent entre 15 000 et 20 000 euros pour un couple. Des investigations sont en cours auprès de l’expéditeur espagnol, déjà connu pour des infractions relatives au trafic d’espèces protégées.

Au total en 2024, la douane française a réalisé 560 constatations en matière de trafic d’espèces protégées. Elle a intercepté 167 animaux vivants, dont 35 tortues, 62 oiseaux (dont 18 perroquets), 21 araignées et scorpions, 1 serpent, 254 kg de civelles et plus de 180 kg de coraux.

« Des citoyens ignorent aussi ce qu’ils font »

Si la Franche-Comté n’est pas une région spécialement sensible, ce type de trafic est réel. Surtout, celui-ci ne concerne pas uniquement le grand banditisme. « Nous interpellons aussi des citoyens qui n’ont aucune idée de ce qu’ils font », explique Brigitte Bourguignon, cheffe du pôle Action Économique à la direction régionale des Douanes de Besançon.« Pour les mésanges charbonnières par exemple, il s’agissait d’ouvriers du bâtiment qui ont récupéré ces oiseaux. En échangeant les informations que nous récupérons, on sait rapidement si c’est un réel trafic ou de l’ignorance et les sanctions varient. En revanche on saisit toujours les marchandises et espèces ».

Pour cet exemple franc-comtois, les transporteurs des mésanges charbonnières ont reçu une amende. Les oiseaux ont été transférés vers le Centre Athénas dans le Jura, seul organisme régional habilité à récupérer des espèces protégées pour les soigner et les préserver. Un partenariat qui remonte quasiment à la naissance du centre en 1988. « Ces mésanges ont été soignées et ont pu être relâchées rapidement », rassure rapidement Gilles Moyne, co-créateur et directeur du Centre Athénas. « Nous travaillons avec tous les services de l’État, les douanes bien sûr mais aussi la police aux frontières, la gendarmerie ou la Direction Départementale de l’Emploi, du Travail, des Solidarités et de la Protection des Populations (DDETSPP) par exemple. Depuis 11 ans, nous avons recueilli plus de 1000 animaux issus de détention illégale. Ça concerne beaucoup d’oiseaux exotiques ou des tortues ».

Les réseaux sociaux et influenceurs pointés du doigt

Les motifs de ce trafic sont multiples, allant de la consommation alimentaire, à la collection d’animaux naturalisés ou exotiques, ou la recherche de nouveaux animaux de compagnie (NAC), le commerce de plantes ou d’animaux rares revendus à des prix élevés, jusqu’à l’utilisation dans des produits cosmétiques. De son côté, Gilles Moyne pointe aussi la responsabilité des influenceurs, provoquant des « effets de mode » au sein de la population. « Nous avons déjà accueilli des servals ou des caracals, des félins bien plus gros et surtout plus dangereux ».

Le Lynx boréal et le chardonneret élégant ciblés

Parmi les espèces protégées mais victimes de trafic illégal, on retrouve aussi le lynx boréal notamment pour sa fourrure. Le Centre Athénas a même déjà reçu des demandes en ce sens. « On a évidemment refusé. Peu de temps après la création du centre, nous avons récupéré deux lynx de Sibérie en provenance d’un logement en Seine-Saint-Denis où ils étaient détenus dans des conditions exécrables. Sur les réseaux sociaux on voit des Américains qui se baladent avec des gros félins dans leur maison. C’est totalement irresponsable quand on sait qu’une fois la maturité sexuelle atteinte, ils deviennent totalement incontrôlables et s’ils grandissent en captivité, ils finissent par ne plus craindre l’Homme et sont condamnés à vivre enfermés », confie Gilles Moyne.

Autre espèce présente dans notre région et victime : le chardonneret élégant. « Il a le malheur de chanter quand il est capturé. Alors il sert de cadeau entre trafiquants par exemple. Il peut se négocier jusqu’à 300 € ». Au-delà des conséquences dramatiques sur la biodiversité et le bien-être animal, ces achats et trafics illégaux profitent aussi à d’autres réseaux. « Un animal protégé originaire du continent africain a une chance sur deux d’être vendu par une organisation terroriste qui finance ses activités comme ça ».

Une journée spéciale au Centre Athénas, le 17 août

Le trafic de faune sauvage est le thème d’une journée spéciale organisée au Centre Athénas le 17 août prochain, sur le stade municipal de L’Étoile (39). Au programme de « l’Envolée », des animations gratuites de 10h à 18h, des jeux pour enfants et un lâcher d’oiseaux. En parallèle une table ronde, des conférences et des expositions sont prévues sur le thème du trafic d’espèces, avec des représentants du monde judiciaire, des douanes, de la police de l’environnement et de l’UICN France, ainsi que des associations spécialisées.