Patrice Besnard, auteur « des idées reçues sur l’horlogerie française »

Ancien délégué général de France Horlogerie, Patrice Besnard évoque dans un livre "les idées reçues sur l'horlogerie française". L'occasion de revenir avec ce spécialiste sur l'origine de une industrie souvent discrète, son actualité mais aussi son avenir. 

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Commençons par une question essentielle : française ou suisse l’horlogerie ?

Son berceau c’est la France où  l’horlogerie mécanique a pris son envol, avec la cour des rois, à Blois puis Paris et Versailles. Elle est arrivée en Suisse grâce aux protestants français persécutés chez nous. Ils se sont exilés à Genève au 16e siècle et ont essaimé dans l’Europe du nord notamment au Royaume-Uni et en Allemagne. Aujourd’hui, en valeur  la Suisse   est de loin le 1er exportateur mondial de montres avec 24,8 milliards de francs suisses et elle a supplanté la France aujourd’hui 4èmes exportateur derrière la Chine et Hong Kong. Mais en quantité, c’est la Chine qui est en tête avec un demi-milliard de montres contre 15,6 millions pour la Suisse.

Quel est l’avenir de la l’horlogerie française ?

Il faut d’abord préciser que l’horlogerie ne se résume pas aux seules montres. On peut aussi parler des horloges et pendules et en général de tout ce qui touche au temps. Un pan souvent méconnu de cette industrie comme les enregistreurs de présence, les appareils de pointage et de synchronisation horaire ou aujourd’hui les objets connectés… Si l’on parle exclusivement des montres, c’est un domaine qui a déjà connu de fortes crises comme l’arrivée du quartz dans les années 1970/80. Les montres mécaniques n’ont pas été condamnées pour autant. Même aujourd’hui avec les ordinateurs, tablettes ou téléphones qui donnent l’heure, elles restent des objets qui ont toute leur place dans nos vies. Un milliard sont encore produites chaque année. Il faut aussi reconnaitre que cette industrie a su s’adapter et se réinventer à plusieurs reprises, dernièrement grâce aux montres connectées. La preuve : Apple est désormais le premier groupe vendeur de montres au monde en dépassant largement le total des quantités exportées par la Suisse !

Le luxe a-t-il aussi sauvé l’horlogerie française ?

C’est un segment très prenant si l’on parle de chiffre d’affaires puisque environ 1% des montres produites représente le tiers du marché  en valeur, même s’il faut nuancer selon les marchés. Le souci d’un tel constat est que plus on monte en gamme, plus on réduit les quantités, ce qui induit un redéploiement des fabrications de composants avec des quantités moindres mais à plus forte valeur ajoutée, et des conséquences  sur l’emploi (effectifs et formations). Mais la montre peut aussi être économique comme l’a prouvé Swatch qui, au départ, en réduisant le nombre de composants avec un design de rupture souhaitait offrir au consommateur européen une montre d’entrée de gamme capable de rivaliser la concurrence des montres à quartz numériques à bas prix en provenance d’Asie. Aujourd’hui, on assiste à l’arrivée de nouvelles marques qui jouent sur la conception technique ou le design des montres et les fabricants français de montres installés sur le marché  ont opté pour des stratégies de niche dans le luxe ou dans des  domaines spécifiques comme le sport.

Que pouvez-vous nous dire du Made In France ?

Vaste sujet…Les règles douanières sont très claires : il faut qu’une montre soit assemblée en France pour pouvoir disposer du marquage made in France. Ces règles découlent  de la réglementation du l’Union Européenne. Ce qui veut donc dire que l’on admet que les composants puissent venir de l’étranger. Nos voisins suisses par exemples on eux renforcé le Swiss Made en ne se contentant plus de la simple exigence d’un mouvement suisse mais aussi de 60% de la valeur ajoutée effectuée dans leur pays.

Faut-il aussi lier le « made in »  à la provenance des composants ?

Il est impossible de transposer totalement ce qui se fait en agriculture où l’on parle de circuits courts en ne s’intéressant qu’à la provenance des produits. Quid des matières premières non extraites sur le territoire national, quid des montres suisses assemblées par des frontaliers français ?. Mais on peut s’en inspirer avec la possibilité offerte aux produits de l’industrie et de l’artisanat de promouvoir une Indication géographique horlogère comme cela existe pour la porcelaine de Limoges ou le grenat de Perpignan. Cela permettrait à  l’horlogerie d’élargir les critères pour s’adapter aux réelles attentes des consommateurs. Au-delà de la question du prix et de l’origine stricto sensu, ceux-ci attachent de l’importance aux performances du produit, aux questions de développement durable ou tout simplement à la bonne facture de leur achat.

L’horlogerie française a donc un avenir ?

Oui et c’est d’ailleurs la volonté affichée par l’Etat qui veut soutenir la réindustrialisation du pays et conforter les filières par l’innovation, notamment avec les pôles francs-comtois de Besançon et du Haut-Doubs.

Propos recueillis par D.A