Arnaud Gaillot : « il faut rapidement relancer le débat agricole, sinon… »

À l’occasion des Terres de Jim 2024, l’ancien président des Jeunes Agriculteurs au niveau national a profité du moment pour remobiliser les acteurs de la filière et prévenir le monde politique.

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Arnaud Gaillot.

C’est une grande fête populaire qui se fait néanmoins dans un contexte professionnel compliqué…

Les labours donnent le ton de la rentrée. On savait dès le départ que ce serait un lieu d’échanges pour faire le point sur l’été et ses récoltes. Cette année elles ne sont pas au beau fixe. Dans notre zone il y a de la quantité mais la qualité est loin d’être au rendez-vous. Ça veut dire des baisses de production et un manque à gagner. Côté céréales c’est la pire récolte depuis 40 ans en France et les viticulteurs dans le Jura enchaînent les difficultés. Tout cela fait remonter d’un cran les tensions. Vous ajoutez à cela les mesures mises sur la table après les manifestations du printemps qui aujourd’hui sont suspendues depuis la dissolution… l’incertitude, c’est la pire chose pour un agriculteur.

Que signifie votre phrase « si rien ne bouge, j’ai peur que l’automne soit très mouvementé » lors de la présentation des Terres de Jim fin août ?

La colère remonte plus fortement sur la région Occitanie, comme la dernière fois. Le contexte est un peu différent grâce à ce que l’on a obtenu. Sur le lait conventionnel par exemple les prix sont réévalués. Concernant toutes les mesures de simplification, de vision et transition, on n’y est pas du tout. Il risque d’y avoir un nouveau croisement des causes et l’on pourrait retrouver plusieurs corporations en même temps dehors.

Quelques garanties à court-terme, des promesses et une loi en standby. Avez-vous espoir que les choses changent rapidement avec la paralysie politique actuelle ?

La loi est toujours en standby mais on craint que ce texte ne soit plus soutenu après tous les changements à l’Assemblée nationale. Les Jeunes Agriculteurs travaillent avec la FNSEA pour un nouveau véhicule législatif dans le cas où le précédent ne passerait pas. Il s’en inspire beaucoup mais on souhaiterait rajouter certaines choses. C’est un programme, il faut de l’action derrière. Aujourd’hui, il n’y a plus vraiment de pilote dans l’avion, donc ça entretient aussi le climat d’instabilité et in fine, de colère. Alors oui, dans notre département, sur une majorité du territoire l’agriculture va relativement bien grâce à la filière Comté. Mais on voit des signes depuis quelques années qui doivent nous alerter sur l’avenir, pour ne pas devenir comme d’autres régions. La question des stocks de fromages et de son marché, la gestion d’un système exclusivement à l’herbe face à une pousse différente…

Le Comté, son modèle social, économique et environnemental, ne peut-il pas être pris en exemple à l’échelle nationale ?

Dans un monde idéal, utopique, oui. La filière Comté bénéficie d’une sorte d’exception européenne car elle a créé son système il y a plus de 60 ans. À l’heure actuelle, faire ce qui pourrait s’apparenter à une économie administrée, ce n’est pas autorisé à l’intérieur de l’Europe, ni au niveau mondial. Produire une alimentation globale sur les mêmes règles, que le Comté pour l’ensemble de la population française, c’est impossible. Certains disent que les français doivent « revoir leurs priorités dans leurs habitudes de consommation ». D’accord, dans l’idéal oui, mais je n’ai jamais vu un candidat lancer une campagne en disant à la population de mettre 80% du portefeuille ménager dans l’alimentation. À chaque tension autour pouvoir d’achat c’est l’agriculture française qui subit les dégâts de plein fouet. On ne peut pas lutter face à la concurrence étrangère.

Concernant les annonces de la Région notamment sur cette nouvelle dotation aux Jeunes Agriculteurs, qu’en pensez-vous ?
On le croira quand on le verra, ça fait tellement longtemps… La gestion de cette enveloppe montre les limites de la décentralisation, toutes les régions peinent à suivre, peut-être que c’était uniquement lié à deux ans de mise en route. Attirer des jeunes dans notre filière pour renouveler nos agriculteurs, ça ne marchera jamais si on montre toujours une image négative sans perspective, si on ne suit pas niveau formation ou sur le cadre de vie.

Propos recueillis par M.S