L’économie de la forêt

Les incendies récents ont ravagé des milliers d’hectares de forêt dans toutes les régions françaises. Est-ce uniquement la faute au dérèglement climatique de ces dernières années ? La situation est plus complexe, nous a souligné Christian Bulle, Président de Fransylva Franche-Comté, le syndicat qui regroupe 2 200 propriétaires forestiers dans la région.

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Colbert et Louis XIV : des écologistes avant l’heure

Il faut même remonter au 29 mai 1346 pour trouver un premier roi français « écologiste ». Dans l’ordonnance de Brunoy, Philippe VI de Valois entend préserver la ressource forestière du royaume. Dans son article 4, l’ordonnance stipule « Les maîtres des eaux et forêts enquerront et visiteront toutes les forez et bois et feront les ventes qui y sont, en regard de ce que lesdites forez se puissent perpétuellement soustenir en bon estat ».

En 1669, Colbert constate la détérioration de la forêt française saccagée par l’exploitation anarchique du bois de chauffage. « La France périra faute de bois » s’inquiète le Ministre d’Etat de Louis XIV, soucieux également de produire les bois de marine. Il actualise l’ordonnance de Brunoy et édicte ce qui est encore aujourd’hui le socle du droit forestier. On y trouve les éléments principaux du développement durable, si chers aux écologistes du XXIe siècle : développer la capacité à produire, préserver la biodiversité des forêts, faciliter son usage par la population et raisonner dans le temps long. Le code forestier de Colbert augmente ainsi l’âge d’exploitation des futaies à 150 ans pour les chênaies et planifie la gestion forestière sur 100 ans.

Christian Bulle le confirme « Nous n’avons rien inventé de fondamental depuis Colbert pour garantir la qualité et la préservation des forêts ».

La forêt, un patrimoine en augmentation

Contrairement aux idées reçues, la couverture forestière en France ne cesse d’augmenter depuis un siècle. Elle représente environ un tiers du territoire métropolitain et 36% en Bourgogne Franche-Comté. La forêt a augmenté de 50 000 ha/an entre 1908 et 1985. L’augmentation est de l’ordre de 80 000 ha/an depuis 1985. La surface forestière représente 16,8 millions d’hectares (données 2018) en France. C’est l’occupation du sol la plus importante après l’agriculture.

Christian Bulle, Président du syndicat Fransylva Franche-Comté qui assure la défense des propriétaires de forêts privées ©YQ

Pourtant, il n’existe pas de volonté politique pour une gestion performante et durable de la forêt française. « Nous n’avons même pas un Secrétaire d’Etat en charge de la forêt comme il en existe un en charge de la mer » s’irrite Christian Bulle, alors que la France est la première forêt feuillue d’Europe, la 3ème en stock de bois derrière l’Allemagne et la Suède et la 4ème forêt d’Europe en surface.

La forêt des Landes, une forêt artificielle

Il y a 2 000 ans, la forêt des Landes de Gascogne occupait 200 000 hectares d’essences mixtes qui cohabitait avec un élevage ovin important sur des zones marécageuses. Napoléon III va donner comme consigne la plantation d’une forêt de résineux pour « assainir les marécages et améliorer les conditions d’hygiène » d’un territoire dit désertique. L’autre raison consistait à fixer les dunes du littoral qui pouvaient menacer l’existence des villages. C’est aujourd’hui la plus grande forêt artificielle d’Europe. Elle couvre plus d’un million d’hectares de pins maritimes.

Elle a connu un énorme incendie en 1949 qui a détruit 50 000 hectares provoquant la mort de 82 personnes. Consécutif à un été particulièrement chaud, on ne parlait pas en 1949 de « réchauffement climatique lié à l’activité humaine » (le Giec n’existait pas…).

L’avenir des forêts franc-comtoises

Il passera par une adaptation des espèces au réchauffement climatique. L’épicéa (malgré le scolyte) ne va pas disparaître des forêts comtoises. « Nous allons devoir mixer les essences pied/pied et donner plus de place à chaque arbre pour se développer » argumente Christian Bulle. Le représentant des propriétaires de forêts n’est pas loin de l’avis des écologistes qui dénoncent les coupes rases et le retour des feuillus. Il s’agit également de planter des espèces dont le système racinaire est vertical puisant l’humidité et les nutriments en profondeur, ce qui n’est pas le cas de l’épicéa ou du frêne qui possèdent des racines horizontales.

L’utopie de « mettre le Risoux sous cloche »

Christian Bulle est inquiet du radicalisme de certains scientifiques comme le botaniste Francis Hallé. Il voudrait transformer le massif du Risoux dans le Jura (à cheval entre la France et la Suisse) et y reconstituer une forêt primaire. Elle évoluera de façon autonome, sans intervention humaine : « ne rien faire…sur plusieurs siècles ». Pour Christian Bulle, c’est une hérésie : « l’évolution de la couverture forestière démontre bien que l’action humaine est bénéfique à la biodiversité. Vouloir mettre 70 000 hectares sous cloche est une aberration ». François Chanal, garde-forestier à l’ONF, le confirmait en janvier 2021 à Emmanuel Rivallain sur France 3 BFC « on ne peut pas réinstaller une forêt primaire…Une forêt primaire n’est primaire qu’une seule fois. Une fois exploitée, il n’y a pas de retour en arrière ».

La filière bois, un atout économique pour la Bourgogne Franche-Comté

La région compte près de 10 000 entreprises, soit 7% de l’ensemble de la filière bois en France. Une entreprise sur 3 exerce son activité en exploitation forestière ou en sylviculture, soit deux fois plus qu’au niveau national.

En production de bois d’œuvre, la Bourgogne Franche-Comté est 1ère pour le chêne (25%), 2ème pour le hêtre (21%), 2ème pour le pin Douglas (25%) et 3ème pour le sapin et l’épicéa (19%). La production annuelle de sciages est supérieure à 1,2 millions de m³ dont 70% sont des résineux. La région est la 4ème de France pour la récolte de bois et la production de sciage. La récolte totale régionale représente 4,9 millions de m³ servant à 61% en bois d’œuvre, 22% pour le bois Industrie et 17% en bois énergie.

Prix des forêts, prix de la passion ?

Moins de 1% de la forêt privée française est vendue chaque année. « On ne vit pas de l’exploitation forestière » souligne Christian Bulle. La grande majorité des propriétaires privés (plus de 50% en Franche-Comté) possèdent des parts ou des parcelles de forêt, souvent une passion familiale transmise de générations en générations. Si le prix moyen d’une forêt est de l’ordre de 4 190€/ha, 90% des transactions sont conclues entre 620€ et 12 470€/ha, reflétant la grande diversité des biens et leur localisation géographique.

Le prix des feuillus et résineux avait fortement baissé depuis les années 70. On constate un retour en grâce depuis le début des années 2000, tiré par une tendance de fond favorable au bois (croissance verte, circuit court…). Le marché demande plus de résineux, en particulier pour la construction. Le Douglas tire son « épine du jeu » grâce à ses qualités mécaniques, sa durabilité et sa vitesse de croissance. Enfin, la demande de chêne est en forte augmentation sur le marché chinois. La Chine est friande du chêne français et ne souhaite pas surexploiter ses propres forêts après une longue période de déforestation (les chinois ont retenu les leçons de Colbert). La demande chinoise, très soutenue, crée des tensions chez les scieurs français. « Nous incitons nos adhérents à vendre le bois aux scieurs locaux plutôt que vendre des grumes qui partent en Chine et reviennent en France en parquets » confirme Christian Bulle.

Les exploitants forestiers n’ont pas attendu la mode écologique pour exploiter durablement la forêt. Tout en tentant de rentabiliser l’exploitation d’une filière économique importante pour la région, ils assurent et développent la biodiversité, garantissent sa durabilité en luttant contre les incendies et en adaptant les essences au réchauffement climatique.

C’est à chaque promeneur du dimanche ou randonneur des montagnes du Jura de contribuer à préserver cette richesse naturelle que des milliers de professionnels entretiennent avec passion.

Yves Quemeneur