Aviez-vous vu venir cette mobilisation ?
Elle était en effet prévisible mais pas prévue par les organisations syndicales même s’il y a quelques semaines déjà les Jeunes Agriculteurs avaient symboliquement retourné de nombreux panneaux de villes et villages avec pour slogan « on marche sur la tête ». Il a ensuite fallu une petite étincelle pour que le mouvement prenne de l’ampleur. Ça a été le cas avec l’exaspération des agriculteurs du Sud-Ouest à la suite de la diffusion d’une maladie très contagieuse sur les bovins (la MHE). Mouvement qui s’est ensuite propagé à tout le pays.
Avec visiblement des désaccords entre les différents syndicats ?
Il y a des élections dans un an pour élire les représentants dans les chambres d’agriculture, donc les syndicats ont clairement affiché leur positionnement et montrer des visions différentes de l’agriculture. JA et FNSEA ont prôné le dialogue avec la population pour bien expliquer les blocages ; la Confédération Paysanne a communiqué avec des actions symboliques comme l’organisation de marchés de producteurs ; quant à la Coordination Rurale, elle a souhaité se montrer plus radicale dans ses actions au niveau national.
Au centre de toutes les revendications, la Loi Egalim… votre analyse ?
Elle a été adoptée pour répondre à une problématique : comment mieux rémunérer le métier d’agriculteur. Prenons l’exemple des éleveurs. En France, on dénombre 7 millions de vaches. Une étude a montré qu’avec les changements à venir, climatiques et autres, la démographie agricole également, nous allons perdre chaque année 100 000 têtes de bétail soit l’équivalent du cheptel du département du Doubs. Or déjà l’année dernière, ce sont 200 000 bêtes de moins qui sont à déplorer. Le phénomène est le même avec les porcs avec une baisse du nombre d’animaux de 8% par an. C’est une véritable décapitalisation de nos exploitations et elle est inquiétante pour la souveraineté alimentaire et l’emploi en milieu rural.
Que peut faire la loi dans ce cas ?
Mieux rémunérer les éleveurs en tenant compte des coûts de production. Quand on vend à notre premier acheteur du lait ou de la viande, il faudrait contractualiser pour plusieurs années avec des volumes d’achats et des prix garantis, en indexant ces derniers sur l’inflation que peuvent connaitre ces coûts de production. Ensuite le 2ème acheteur devrait contractualiser avec la Grand Distribution ou la Restauration hors domicile… Un agriculteur sur deux en France prendra sa retraite d’ici dix ans. Si on veut que des jeunes s’installent, il faut sécuriser leurs revenus dès leurs premières années d’exploitation en leur garantissant une stabilité. A défaut, ils vont être découragés et c’est notre souveraineté alimentaire qui va en pâtir.
Les trop nombreuses normes sont également dans votre viseur ?
Je vais prendre un exemple avec une nouvelle norme que voulait imposer Bruxelles pour améliorer le bien-être animal : il ne serait plus possible d’attacher nos vaches dans les écuries qui je précise sont de plus en plus confortables et modernes. Même les vétérinaires disent que ce serait un non-sens et que ce serait même risqué. Il faut donc arrêter d’imposer de telles obligations sans tenir compte des réalités et des pratiques qui sont les nôtres.
On a aussi beaucoup parlé écologie…mais pour condamner les interdictions ?
Nous sommes déjà soumis à des nombreuses interdictions sur nos exploitations. C’est évident que nous aimerions tous pouvoir nous passer de produits phytosanitaires mais c’est une utopie. Et c’est même irréaliste économiquement. Le bio a un coût supérieur à l’agriculture traditionnelle. Voyez ce qui se passe aujourd’hui avec une baisse des ventes de ces produits. Et j’insiste pour dire qu’en France nous faisons déjà beaucoup d’efforts en matière de préservation de l’environnement. Il serait normal que ce soit pareil dans les autres pays. Les agriculteurs sont actifs en matière d’environnement sans que cela soit forcément contraint : on peut citer par exemple les Paiements pour Services Environnementaux dans la vallée du Doubs, qui valorisent économiquement des pratiques agricoles volontaires et favorables à l’environnement.
Vous parlez là de distorsion de concurrence ?
En effet, les règles ne sont pas les mêmes partout. Des produits importés le sont alors qu’ils ne répondent pas aux normes qui nous sont imposées ici. Nous n’avons donc pas les mêmes contraintes et par conséquent pas les mêmes coûts. Difficile alors d’être compétitifs. Cela fragilise les agriculteurs, mais trahit également la confiance du consommateur !
Vous visez clairement l’Europe ?
Attention, il ne faut pas prendre l’Europe comme un obstacle mais au contraire comme une chance. L’agriculture française n’a aucune chance de survie et de développement sans l’Europe. Nous avons besoin de ses aides et de sa force pour peser face aux autres continents. Mais il ne faut pas que la France surtranspose les directives en voulant en faire toujours plus. Il faut au contraire qu’elles soient harmonisées à l’échelle européenne.