Grand Besançon. Proctologue mis en examen : le cauchemar des patients

L’information judiciaire engagée depuis le mois de juin contre le docteur Luc Clemens a fait exploser le nombre de consultations, témoignages et nouveaux dossiers auprès de des avocats des victimes dont une partie s’est réunie au sein d’une association. L’urologue exerçant depuis quelques années comme proctologue est aujourd’hui mis en examen par le parquet de Besançon pour blessures involontaires sur 37 patients, après des opérations des hémorroïdes ratées. Le nombre de victimes présumées s’agrandit chaque semaine et concerne toute la Franche-Comté.

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« Je n’avais jamais connu un dossier de cette ampleur », confie maître Olivier Lévy, dont les premiers clients et patients du Dr. Luc Clemens ont engagé des démarches judiciaires dès 2020. Depuis, l’avocat a rencontré près d’une centaine de personnes et assure « constituer de nouveaux dossiers tous les jours. » Avec à chaque fois, le même scénario et le même praticien mis en cause. Urologue de formation exerçant jusqu’en 2015 notamment dans le sud de la France, le docteur Luc Clemens s’est installé dans le Doubs où il a commencé à pratiquer la proctologie, une spécialité pourtant réservée aux gastro-entérologues. Si cette réorientation dans la pratique pose question, c’est davantage la série d’opérations de chirurgie des hémorroïdes ratées par le médecin qui a retenu l’attention du parquet de Besançon, dès le mois de juin 2024. « Le procureur a réquisitionné le contenu de nos procédures civiles déjà engagées pour ouvrir une information judiciaire. », poursuit Me Lévy. Celle-ci débouche le 25 septembre sur une mise en examen « pour 37 faits de blessures involontaires ayant entraîné une interruption temporaire de travail inférieure à trois mois », explique le procureur de la République du tribunal de Besançon, Étienne Manteaux. À cela s’ajoute une interdiction d’opérer pour le médecin.

« Mes clients viennent de toute la région, n’ont pas d’autre lien entre eux si ce n’est ce cauchemar depuis ces opérations », précise l’avocat Me Lévy. Plusieurs d’entre eux expliquent avoir rencontré le médecin pour un problème hémorroïdale, d’une gravité plus ou moins importante mais toujours avec la même issue : une seule consultation rapide avant de programmer une opération chirurgicale. « Lorsqu’on intervient sur une problématique hémorroïdaire, on a des traitements médicamenteux et instrumentaux d’abord. On n’attaque pas tête baissée la chirurgie, qui est invasive. », commente l’avocat.

Une opération mal maîtrisée, combinant deux techniques

L’opération elle-même est un problème. « Il y avait deux possibilités et quand il me les a présentées, j’ai choisi la première. Je me suis rendu compte qu’après, sans m’avoir demandé, il avait fait les deux et surtout que rien n’était soigné », raconte Johan, 48 ans, l’un des premiers patients à avoir engagé une procédure contre le médecin dont l’invalidité est aujourd’hui reconnue. « Dans le cadre de nos procédures civiles, nous avons fait appel à des experts médicaux et tous sont unanimes : le docteur Clemens n’a pas le bon geste médical. En clair, un chirurgien peut effectuer une ablation de paquet(s) hémorroïdaire(s) ou une hémorroïdopexie par agrafage. Lui a développé une pratique combinant les deux techniques sur une seule opération. Cette façon de procéder n’est absolument pas validé par qui que ce soit. », assure Me Lévy. Une première opération qui en appel systématiquement ou presque une seconde pour « réparer les dégâts qu’il a lui-même causés. Aujourd’hui, on regarde la situation des patients et plaignants avec plusieurs experts partout en France. À l’heure actuelle, aucun patient ne peut retrouver sa vie d’avant par une thérapie ou opération chirurgicale. Quand le sphincter est touché, c’est catastrophique car c’est une incontinence assurée. »

Dans le cadre de la procédure pénale engagée, un expert gastro-entérologue désigné par la cour d’appele de Paris va étudier les dossiers médicaux des 37 patients ayant déposé plainte contre le proctologue. Une expertise qui pourrait durer cinq mois. « Derrière ces opérations ratées, les séquelles ne sont pas uniquement physiques. », ajoute Me Lévy.  » Des dizaines de personnes ont modifié leur vie à cause de ces incontinences. Devoir aller aux toilettes près d’une dizaine de fois par jour, toujours avoir une tenue de rechange au cas où, porter des couches… On a des clients en rupture totale avec la société et leurs proches à cause de ces opérations. »

Cette médiatisation a permis aux patients de se rassembler. Plus d’une trentaine ont créé une association  « dans le but de recenser toutes les victimes opérées par ce proctologue. […] Nous souhaiterions que toutes les victimes qui se terrent dans le silence nous rejoignent afin de mener notre combat devant la justice. » Après une première assemblée générale le 12 octobre, les membres de l’association assurent avoir recensé près de 80 personnes. De son côté, le docteur Luc Clemens bénéficie de la présomption d’innocence et réfute toutes les accusations émises à son encontre. Dans un courrier adressé au journal l’Est Républicain, son avocat, Me Xavier Flecheux, a fait savoir que sa mise en examen était « discutable » et « incertaine ».

M.S