CHU
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Quand vous débutez votre service, combien de places sont disponibles ?

Aux Urgences on a une soixantaine de brancards, sans compter ceux qui attendent assis. Parfois je commence mon service avec seulement 10 lits d’hospitalisations disponibles pour une moyenne de 120 entrées par jour. C’est la plus grande problématique des Urgences, on garde les patients chez nous car aucun autre service ne peut les accueillir.

Pour les patients qui peuvent quitter l’hôpital après un tour aux Urgences, il existe un service de retour à domicile ?

Il n’existe plus entre 20h et 6h. C’est aussi ce qui rallonge la durée de prise en charge. La semaine dernière, il y a un soir où sept patients n’avaient plus rien à faire « médicalement parlant » dans nos couloirs à minuit. Ils ont dû attendre la matinée pour partir.

Certains patients se retrouvent dans des services qui n’ont rien à voir avec leur diagnostic…

C’est presque 80% du temps comme ça mais le pire n’est pas pour eux, c’est pour les soignants ! Imaginez la situation : un chirurgien doit s’occuper de tous les patients de son service et ensuite courir avec son matériel dans les couloirs pour prendre en charge les autres, ailleurs dans l’hôpital.

En effectif minimum, comment tenez-vous le rythme face à l’afflux de patients dans des locaux devenus trop étroits ?  

Aujourd’hui j’ai honte de ce que je fais, je suis maltraitante avec des patients, faute de temps, de moyens, de personnel. La semaine dernière j’étais toute seule pour 21 patients aux Urgences. Même l’accompagnement de base ne se fait plus correctement : boire, manger, aller aux toilettes. Ce sont des choses primaires qui deviennent exceptionnelles au SAMU. La semaine dernière j’ai donné un verre d’eau à une patiente qui m’a remerciée en larmes. Cela faisait des heures qu’elle attendait, personne ne l’avait vu. Laisseriez-vous un membre de votre famille dans ces conditions ?

Pourtant tout n’est pas dû au manque d’effectif ?

Il y a des choses que l’on peut combler mais c’est un enchaînement de circonstances qui provoque cette situation et parfois le public a aussi sa responsabilité. Par exemple quand des gens nous déposent un membre de leur famille pour s’en occuper et partent en courant sans laisser de coordonnées ou quand d’autres viennent pour rien ou pas grand-chose faute de médecin disponible sur leur secteur. Un soir au cours de ce début d’année 2023, une patiente est arrivée de Morez en voiture pour un mal de ventre, sans autre solution. Je lui ai dit qu’elle ne pourrait jamais repartir avant 9 heures le lendemain alors elle a préféré rentrer sans prise en charge. Notre rôle est de juger les situations à l’instant où elles se présentent à nous, ça ne veut pas dire que ce n’est pas grave ! L’Hôpital n’est que le reflet d’une société malade.

En résumé, il faudrait plus de monde, plus d’espace et une revalorisation salariale ?

On ne crachera jamais sur un meilleur salaire mais on est arrivé à un tel désastre que je préfère encore ne pas être augmentée, si ça peut permettre à l’hôpital d’étoffer l’ensemble des effectifs. Pour les Urgences par exemple, on pourrait mettre un radiologue d’astreinte en plus, les jours où il y a beaucoup de monde. Ça éviterait d’attendre 8h pour passer un scanner, ce n’est pas normal ! Mais une astreinte, ça coûte de l’argent…

Il y a deux semaines une dame admise aux Urgences devait passer une IRM qui a été refusée, on a fait un scanner à la place. Le neurochirurgien souhaitait quand même l’IRM. Depuis son brancard, la patiente a téléphoné à la polyclinique de Franche-Comté. Il était 9h, elle a obtenu un rendez-vous avant 10h45. Notre IRM est à trois portes du SAMU.

Les départs et démissions s’accumulent depuis plusieurs mois. Vous y pensez ?

Sincèrement non, les conditions en Suisse sont devenues similaires malgré le meilleur salaire, j’arrive encore à sourire au travail car j’aime m’occuper des gens et notre équipe est soudée. Néanmoins depuis quelques temps mon ressenti a beaucoup changé, ça m’affecte plus longtemps et il faut que je coupe sans être rappelée. Si on veut du personnel, il faut d’abord redonner envie aux jeunes d’aller y travailler.

*Prénom modifié, l’infirmière souhaite rester anonyme.

Propos recueillis par M.S