Réindustrialiser l’horlogerie en France

Le 15 juin dernier, "France horlogerie", qui regroupe environ 70 entreprises de fabrication de montres françaises, de composants et d’horlogerie de gros volume, tenait son assemblée générale à Besançon. L’occasion de présenter les résultats d’une étude conduite en 2022 portant sur l’avenir de la filière horlogère française.

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mouvement de montre ©DR
98% des montres vendues en France sont fabriquées à l’étranger

Tous les acteurs de la filière placent la réindustrialisation au cœur de leurs préoccupations. Considérée comme un secteur stratégique par l’Agence de Cohésion des Territoires, l’horlogerie française est l’une des 5 activités industrielles que les pouvoirs publics souhaitent voir relocaliser en France (jouet, textile, chaussures et vélos).

La conférence du 15 juin a réuni une partie des acteurs privés et publics pour affirmer cette ambition. « France Horlogerie se réjouit de la dynamique forte autour de cette stratégie de réindustrialisation qu’elle a initiée » a souligné Jean-Pierre Bodet, élu récemment à la présidence de l’organisation professionnelle. « Il s’agit de mettre en œuvre des projets d’investissements concrets et innovants »

2 médecins pour un malade

L’Agence nationale de cohésion des territoires a mandaté en décembre 2022 le Cabinet Ernst & Young chargé sur 4 mois de dégager les pistes d’innovations et envisager leur localisation en France pour l’horlogerie, le jouet, le textile, les chaussures et les vélos. Les 5 études auront quand même coûté la bagatelle de 2,4 millions d’euros. Le Cabinet américain a d’ailleurs été épinglé par une commission d’enquête sénatoriale sur l’influence des cabinets conseils dans les politiques publiques.

 

En encadré « On peut effectivement s’interroger sur le rôle et le coût de ces cabinets conseils alors que la France dispose d’une armée d’énarques et hauts fonctionnaires dont ce devrait être le rôle »

 

D’un autre côté, France Horlogerie avait confié en juin 2022 au Cabinet Square, une étude dont les conclusions ont été présentées le 15 juin 2023. « Un plan structuré en 4 axes et 6 mesures concrètes » précise un communiqué de France Horlogerie.

la filière horlogère en Franche-Comté a-t-elle encore un avenir ? ©YQ

Le premier axe consiste à augmenter la part de composants et d’assemblages fabriqués en France en renouvelant l’outillage industriel et en construisant une plateforme digitale de coopération. On peut imaginer la difficulté de la tâche, s’agissant par exemple de la fabrication de cadrans de montres. Le savoir-faire a disparu dans le Haut-Doubs depuis plus de 20 ans pour un composant qui nécessite beaucoup de technicité, confronté par ailleurs à des réglementations écologiques franco-françaises drastiques.

Second axe : déployer une stratégie de grappes d’entreprises pour gagner en compétitivité. Le besoin de secret industriel et commercial dans le domaine du luxe rend complexe des coopérations entre industriels.

Le troisième axe de l’étude consiste à restaurer la capacité d’innovation du secteur horloger français dans le but d’augmenter les ventes de produits français.

Le quatrième axe voudrait structurer une démarche d’innovation au travers d’un espace collectif d’innovation. Cette ambition se heurte, comme le second axe, à la garantie du secret industriel.

2 ordonnances identiques

On s’étonnera que les conclusions de l’étude Ernst & Young (commandée par l’Etat) reprend « au mot près » les préconisations de l’étude du Cabinet Square. On s’étonnera également que certains grands noms de l’horlogerie suisse, implantés en Franche-Comté et notamment à Besançon, n’aient pas été audités par les consultants du Cabinet américain !

121 millions d’euros d’investissements pour l’horlogerie française

Le plan de France Horlogerie évalue le budget à 121 millions d’euros dont 110 millions d’investissements industriels. Selon l’organisme professionnel, cet investissement permettrait de générer 175 millions d’euros de chiffre d’affaires supplémentaires sur une activité totale, tous domaines confondus d’environ 381 millions. En outre, il permettrait de créer 1600 emplois supplémentaires, s’ajoutant aux 3000 emplois existants en France.

L’étude de France Horlogerie ne précise pas comment préserver ces emplois de l’attractivité économique de la Suisse et inciter les 44 000 frontaliers de la région à se « relocaliser » en France.

La France est le quatrième exportateur mondial de montres et jouit d’un écosystème de plus de 200 entreprises, souvent au savoir-faire ancestral. Pour autant, les consommateurs français sont-ils prêts à payer plus cher l’achat d’une montre « made in France » ? Il y a loin de la coupe aux lèvres même si le syndicat de détaillants français (Union des Bijoutiers Horlogers) affirme vouloir distribuer plus de produits français !

Une profession divisée

Entre les fabricants horlogers, les co-traitants des grandes marques suisses, les importateurs de produits asiatiques, les fabricants d’horloges d’édifices ou de marque temps sportifs, la filière horlogère est soutenue par plusieurs organisations professionnelles…qui ne s’entendent pas forcément entre elles. France Horlogerie (ex Chambre Française de l’Horlogerie et des Microtechniques) revendique 70 entreprises adhérentes. Pour sa part, la Fédération de l’Horlogerie (FH) fédère 37 entreprises implantées en France (principalement en Franche-Comté) et 90 marques d’importation suisses (Breitling, Cartier, Chopard…) et japonaises (Seiko, Citizen…). Ses adhérents, souvent très innovants  s’appellent Pequignet, MarchLab ou Reparalux Humbert-Droz Elle pèse 80% du chiffre d’affaires réalisé en France en valeur.

La filière horlogère française porte la marque de l’excellence en matière de microtechnique, d’innovations industrielles et de créativité. 80% de la production est exportée. Ce n’est pas en injectant de l’argent public dans des études sans lendemain que cette activité stratégique pour la Franche-Comté forgera son avenir. Ce sont les entreprises étrangères et françaises présentes sur son territoire qui possèdent les clefs. Aux pouvoirs publics de les accompagner et non de les remplacer !

Yves Quemeneur